George Harrison : 1943-2001

C?était en juillet 2001. L?ancien Beatle n?était pas là. Il se remettait de sa dernière opération en Italie. Une retraite qui, depuis 1997, avait d?autres motifs que son légendaire refus de se mettre en avant professionnellement. Harrison était à bout de forces. En juillet 1997, alors qu?il jardine , un de ses passe-temps favoris, il est pris d?un malaise. Diagnostic : cancer de la gorge. Il est opéré dans la foulée. Olivia, son épouse depuis vingt ans, ne le lâche plus. A chacune de ses sorties , elle est à ses côtés. Fatigué et éprouvé, Harrison se remet lentement. Deux ans plus tard, nouveau drame : il est poignardé dans son lit par un détraqué, Michael Abram, qui se dit investi d?une mission divine. Une fois encore, sa femme lui sauve la vie en assommant l?agresseur à l?aide de la lampe de chevet. Etrange répétition de meurtre de Lennon. Un véritable choc. Lors du procès, c?est Dhani, leur fils, qui les soutient : ?La perspective de voir un jour cet homme libéré est atroce?, déclare-t-il à la sortie. Le détraqué sera condamné à être interné en hôpital psychiatrique.

Fin des soucis ? Pas vraiment. Une tumeur au poumon est détectée en 2000, sans doute une séquelle de l?agression. Harrison est opéré en mai 2001 aux States , puis part en convalescence en Toscane. Olivia l?épaule toujours. Le couple se ressource parfois auprès de Ringo Starr et de sa femme, mais il préfère se préserver et fuir les mondanités. Quand, lors d?un scanner de contrôle , on découvre une tumeur au cerveau, c?est trop. Les fans s?émeuvent. Pourtant, on dit la tumeur bénigne. George subit quand même des séances de radiothérapie dans une clinique en Suisse, fin juin 2001. Harrison s?accroche à la vie. Il est encore trop tôt pour faire une bio du plus discret des Beatles.

Dés le départ, dans les années 1960, les critiques le surnomment ?the quiet one? , le silencieux. Pourtant, avec son jeu de guitare si particulier, reconnaissable à 100 000 lieues à la ronde, George impose sa patte en douceur. Si Lennon/MacCartney occupent le premier plan, lui travaille dans son coin, connaît ses limites techniques et cherche à s?améliorer. Sur le premier album des Beatles, Harrison a droit à la portion congrue : il ne chante que deux titres, le rock ?chain? , une reprise, et la ballade ? do you want to know a secret?, une composition originale du duo de choc. Le jour de l?assassinat de JFK, le 22 novembre 1963, leur deuxième album est dans les bacs. Harrison est plus chanceux cette fois : il a réussi à imposer sa première composition, le morceau ?don?t bother me?. Progressivement , Harrison trouve sa place au sein du groupe?..en imposant sa réserve. Personne ne s?inquiète de sa vie amoureuse, même si sa petite amie, Patty Boyd, apparaît sur la pochette du 45T français de ?things we said today?. Il l ?épousera trois ans plus tard , en 1966.

Toujours discret mais de moins en moins silencieux, c?est lui qui va ouvrir le groupe à d?autres univers musicaux. Dès 1965, il se passionne pour les sonorités orientales, plus particulièrement pour la musique indienne. Il apprend le sitar, découvre Ravi Shankar. C?est lui qui emmènera les trois autres en Inde. Alors que les Beatles sont en passe d?être catalogués yé-yé, George, en introduisant le sitar sur une composition de Lennon, ?Norwegian Wood?, sur l?album ?rubber soul?, les lance sur une autre orbite. Direction les studios. Ils ne se produiront plus jamais en concert.

Inspirateur et défricheur, Harrison, moins prolixe que les deux flambeurs, continue d?imposer une ou deux compositions par album. Discret, oui, mais efficace. En réalité, il commence à souffrir du joug de ses deux amis, et multiplie collaborations et rencontres. En 1968, il passe une semaine de vacances chez Bob Dylan , créant quelques jalousies au sein du groupe. Il devient ?celui qui est proche de Dylan? , véritable Dieu vivant pour Lennon et Mac Cartney. Ami d?Eric Clapton depuis une tournée commune en 1964, il l?invite à jouer sur ce qui demeure l?un de ses plus beaux morceaux, ?while my guitar gently weeps?. Doucement, George s?éloigne de la maison Beatles. Il est le premier des quatre à sortir , dès 1968, un disque en solo intitulé ?wonderwall?, la musique du film du même nom. L?année suivante, il s?amuse avec des machines, enregistre des sons plus étranges les uns que les autres, exclut les instruments acoustiques et commet un disque qualifié d?inécoutable : ?Electronic Sounds? mais dans lequel certains verront le fondateur de la musique techno. Pourquoi pas ?

En 1969, les fab?s tentent désespérément d?enregistrer ?let it be?. Lennon a déjà quitté le groupe, tandis que MacCartney tente envers et contre tout de le maintenir à flot. Après une violente dispute avec Paul, Harrison fait ses valises?.et revient quelques jours plus tard. Mais la magie n?opère plus. George enregistre dans son coin ses propres chansons , celles rejetées par les Beatles. Néanmoins, à l?été 1969, un riff de guitare magique les rassemble tous les quatre. Ils laissent tomber ?let it be? , qui sera produit par Phil Spector, et enregistrent ?abbey road? d?une traite. Ce dernier est considéré comme l?un de leur meilleur albums. Parmi la contribution de George au disque, la chanson ?something? , que, quelques années plus tard, Frank Sinatra qualifiera de ?plus belle mélodie de tous les temps?.

Avril 1970 : quand la séparation intervient officiellement, George a déjà tourné la page. Il se retire à Henley, où il met une touche finale à un projet titanesque. Un triple album intitulé ?all thing must pass? , porté par la chanson ?my sweet lord?, un hit mondial. L?album s?empare des premières places des charts internationaux. Dans la dépression post-Beatles, George est celui qui réussit sa reconversion. Parallèlement , il enregistre sous le pseudonyme de L?Angelo Mysterioso des parties de guitare pour Clapton. Lorsqu?en 1971, Ravi Shankar lui parle des problèmes de famine au Bangladesh, George décide aussitôt un concert humanitaire au Madison Square Garden de NYC. Pour l?occasion, il convainc son ami Bob Dylan de remonter sur les planches, qu?il avait désertée depuis 1966. Le concert est un triomphe. Un triple album live est commercialisé dans la foulée. ?Après, tout le monde savait que le Bangladesh allait très mal? expliquera Ravi Shankar. Musicalement, George Harrison est à son apogée. Pourtant, il va ralentir la cadence.

Depuis trente ans, George s ?était comme muré, de plus en plus discret, de plus en plus reclus. Au cours des années 1970, il enregistre cinq autres albums, tous plus ou moins passés inaperçus. Alors qu?il croyait prendre son temps, son destin semble lui filer entre les doigts. En 1972, Patty Boyd et lui sont victimes d?un grave accident de la route. En 1974, il part en tournée aux States , mais une infection de la gorge handicape son retour sur scène. Patty le quitte pour Eric Clapton. Il se pique de F1, on le voit traîner sur les paddocks des grands prix. Et pendant que la Légende des Beatles grandit, George paraît rester sur le bas-côté. Peu lui importe. Loin de revendiquer l?héritage et de se battre, via les tribunaux, contre ses anciens amis, il préfère s?isoler . Est-ce parce qu?il a trouvé un nouveau bonheur ? L?année où Patty le quitte, il s?éprend d?Olivia Arias, secrétaire dans sa maison de disques, Dark Horse. Le petit Dhani naît en 1978. Avare d?apparitions publiques, George roule au volant de sa Mercedes noire aux vitres teintées vers des destinations que personne ne remarque, tandis que les faits et gestes de McCartney ou de Lennon sont épiés par le monde entier. En 1981, six mois après la mort de Lennon , il effectue un retour avec l?album ?somewhere in England? où il rend un hommage émouvant à John avec ?all those years ago?. George vouait une grande admiration pour John Lennon. Sa tragique disparition fut pour lui un choc terrible.

Succès mitigé également pour le Harrison producteur de cinéma. Sous le label Hand Made Films, un seul véritable événement : ?Shanghai surprise? , un film avec Madonna. Il vendra d?ailleurs la compagnie en 1990. En 1987, l?ex-Beatles renoue avec le succès : ?cloud nine? reçoit un accueil dithyrambique, avec la chanson hommage humoristique ?when we was fab? . Dans la foulée, George forme un super-groupe aux côtés de Jeff Lynne , Tom Petty, Roy Orbison et Bob Dylan. Les Travelling Willburys sortent un album éponyme en 1988, et remettront le couvert en 1990. Les stars quadragénaires se font plaisir, et à leur public aussi. Deux ans, deux essais, deux succès. George aurait-il appris à saisir les rênes de la gloire ? On ne se refait pas : plutôt que de continuer sur cette lancée, il retourne dans sa tour d?ivoire de Henley.

En 1991, Clapton le pousse à remonter sur scène pour une tournée japonaise. Triomphe. Un disque live est publié l?année suivante. Concert événement à Londres. C?est tout. Après, le discret va faire de son silence une légende. Même quand les Beatles se retrouvent à trois pour enregistrer deux nouveaux morceaux à l?occasion de la sortie de l?anthologie du groupe en 1995, il refuse toute promotion. Mais il impose Jeff Lyne comme producteur à la place du mythique George Martin. Le mensuel de rock anglais ?Q? publiera bien un entretien commun, mais George y répondra de chez lui, et par fax. Son combat contre la maladie commence deux ans plus tard et le pousse dans ses derniers retranchements.

George se repose en Italie, d?où il publie un communiqué se terminant par : ? Please , don?t worry? (s?il vous plaît, ne vous inquiétez pas). Peu habitué à ce que George s?expose, ces quelques mots ont mis la planète Beatles en émoi. Et bien sûr, les fans, désorientés, ont compris l?inverse . Peter Nash , président du fan-club londonien : ?La prochaine fois que l?on aura des nouvelles , je crains qu?elles soient mauvaises. Si ça se trouve, il n?a pas pu être opéré?. Le médecin Suisse à pourtant affirmé que tout allait bien pour George. Paul, qui lui a rendu visite à Milan le 8 mai , déclare : ?J?ai vu George et il m?a affirmé que, pour l?instant, il n?avait pas l?intention de mourir?. Cela rassure tout le monde.

Mais personne ne peut plus rien pour lui. Sa tumeur au cerveau est, effectivement, inopérable. Même George Martin , dans une interview au ? Mail on Sunday? , avoue que son ami se sait proche de la mort. ?Son tour viendra bientôt et il l?admet sereinement. Il ne s?en fait pas trop, il est philosophe?, déclare-t-il.

Le 9 novembre, il entre au Staten Island University Hospital de NYC pour un traitement révolutionnaire. Les médecins ne lui donne plus qu?un mois à vivre. Très controversé dans le milieu, le docteur Lederman, qui a décidé de s?occuper de lui explique : ? Il n?y a aucune garantie, c?est une loterie. Mais en cas de réussite, on parvient à doubler l?espérance de vie?.

George quitte la clinique , mais continue à suivre le traitement, basé sur de fortes doses de radiations. Cependant, il n?a plus la force de rentrer chez lui. Le déplacement est trop long. Il se réfugie chez un ami. C?est là, le 29 novembre 2001, qu?il sent ses dernières forces l?abandonner. Les médecins auront donc vu juste. A ses côtés, son épouse aura droit à son dernier sourire. George, qui meurt dans ses bras, s?en va en lui disant : « aimez-vous les uns les autres. ».