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“Watching The Wheels” : la parenthèse contemplative de John Lennon

En novembre 1980, lorsque sort l’albumDouble Fantasy, John Lennon revient sur le devant de la scène musicale après cinq années de silence. Sa nouvelle vie, discrète et centrée sur sa famille, surprend un public habitué au bouillonnement créatif de l’ex-Beatle et aux coups d’éclat de l’activiste pacifiste. C’est dans ce contexte que naît“Watching The Wheels”, un morceau à la fois introspectif et lumineux, où Lennon répond frontalement aux critiques qui l’accusent de s’être “retiré” du monde du rock.

Un besoin de recul après l’effervescence

Les “househusband years”

Dans les années 1970, la règle tacite dans l’industrie musicale impose aux artistes de sortir un nouvel album chaque année, sous peine de tomber dans l’oubli. Après la frénésie des Beatles et ses premières années de carrière en solo, John Lennon se retrouve épuisé. Ajoutons à cela ses excès durant la période du “Lost Weekend” (1973-1975) et son désir de se consacrer à son fils Sean, né en 1975.

Lennon décide alors d’appuyer sur “pause” : plus de scène, plus d’interviews, plus d’albums. Cette parenthèse – qu’il qualifie lui-même de “househusband years” – est ponctuée de moments simples : lecture, cuisine, promenades, et surtout l’éducation de Sean, qu’il élève avec une attention quasi exclusive. Pendant ce temps, Yoko Ono, son épouse et partenaire artistique, prend en main la gestion financière et les investissements familiaux.

Les questionnements : “Exister sans être sous les projecteurs”

Dans plusieurs interviews de 1980, Lennon explique la difficulté qu’il a ressentie en se retrouvant “en retrait”. Lui qui, depuis 1962, avait été sur le devant de la scène sans discontinuer, doit apprivoiser un nouveau rythme. Il confie avoir eu l’impression de vivre ce que certains “retraités” subissent à 65 ans : “Être prié de se retirer.” Ainsi, “Watching The Wheels” est pour lui un moyen de dire :“Oui, je suis toujours là. Mais je me contente désormais d’observer le monde autour de moi, sans ressentir le besoin incessant de produire ou d’apparaître.”

Genèse de la chanson : de “Emotional Wreck” à “Watching The Wheels”

Les premières ébauches : “Emotional Wreck” et “People”

Le parcours créatif de “Watching The Wheels” commencefin 1977. Lennon enregistre une première démo baptisée “Emotional Wreck”. La structure est encore balbutiante : on y retrouve une ligne de piano mélodique et les ébauches de paroles centrées sur ses émotions à vif.

En 1978, cette ébauche change de titre et devient “People”, mais ne dispose toujours pas de refrain finalisé. Les couplets prennent forme, la progression d’accords au piano s’affermit, mais le morceau n’est pas encore achevé.

“I’m Crazy” : l’étape intermédiaire

En 1979, Lennon réenregistre la chanson chez lui au Dakota, sous un nouveau nom,“I’m Crazy”. Les paroles témoignent de ses réflexions sur l’argent et la célébrité, avec un passage qui disparaîtra plus tard dans la version définitive :

“People say I’m stupid / Giving my money away…”

Ces bribes illustrent bien sa tension intérieure, entre le confort matériel et la liberté d’esprit qu’il recherche désormais.

L’aboutissement à Bermuda

Lorsque Lennon part aux Bermudes à l’été 1980, son inspiration retrouve des couleurs. Reprenant ses démos, il peaufine la chanson, désormais intitulée“Watching The Wheels”. Des ajustements de structure et de rythme transforment le côté “boogie” de certaines démos en une ballade pop-rock plus posée. Finalement, avant d’entrer en studio pourDouble Fantasy, il réalise une démo quasi finalisée au piano, libérée du tempo “boogie” et recentrée sur un accompagnement dépouillé.

Un message clair : “Je suis bien, merci”

Un pied de nez aux critiques

En 1980, une partie du public et de la presse s’interroge : “Pourquoi Lennon a-t-il disparu des radars ? L’ex-Beatle n’a-t-il plus rien à dire ?” Avec “Watching The Wheels”, John répond en chanson. Il explique son choix de vie, assumant parfaitement sa volonté de “se poser” pour profiter de l’instant présent.

“People say I’m crazy / Doing what I’m doing…”

Le refrain est limpide :“Je vous entends, mais je préfère rester là à observer les roues tourner, plutôt que de courir après un succès dicté par les codes de l’industrie.”

Les “roues” : un symbole multi-facettes

Les “roues” dont Lennon parle sont à la fois réelles et métaphoriques. Depuis son appartement au Dakota Building (sixième étage), il peut observer la circulation new-yorkaise, les voitures, les passants, mais aussi le cycle perpétuel de la vie. Dans une interview, il établit un parallèle avec la vision cosmique d’un univers qui tourne en boucle. Cette idée rappelle la veine introspective amorcée dès “Nowhere Man” (1965), où Lennon observait le monde avec un recul quasi philosophique.

En studio : la touche “douce-amère” deDouble Fantasy

Un enregistrement dans l’esprit de la détente

La version qui figure surDouble Fantasyest enregistrée le18 août 1980au Hit Factory à New York. Contrairement aux prises plus “rock” d’autres titres de l’album (tels que “I’m Losing You”), “Watching The Wheels” mise davantage sur les claviers et un rythme plus tranquille. Lennon y joue unYamaha electric grand, tandis queGeorge Smallse charge du piano acoustique, ainsi que de divers synthétiseurs (dont un Prophet 5) et d’un orgue.

L’ajout inattendu du hammer dulcimer

Un instrument inattendu vient enrichir la version finale : lehammer dulcimer, joué parMatthew Cunningham, musicien de rue repéré par le producteur Jack Douglas et l’ingénieur du son Lee DeCarlo dans les rues de Greenwich Village. Cette sonorité délicate, presque médiévale, souligne l’ambiance contemplative de la chanson.

Selon Tony Davilio (assistant ingénieur), Matthew, hippie rêveur, ignorait totalement qui était John Lennon. Cette rencontre cocasse ajoute une touche de folklore à l’histoire de l’enregistrement.

Les détails de la production

Lennon tenait particulièrement à un riff de piano final, qu’il avait entendu un soir dans un bar :

“He really made a big point of making sure that I had played that romantic piano line on the tag exactly that way.”
– George Small

L’idée est de conclure la chanson sur une note sereine, presque mélancolique. Les chœurs de Michelle Simpson, Cassandra Wooten, Cheryl Mason Jacks et Eric Troyer participent à la dimension aérée et chaleureuse du mix.

La sortie du single : un écho posthume

Un lancement tardif

“Watching The Wheels” sort comme troisième etdernier singleofficiel deDouble Fantasyle 13 mars 1981 aux États-Unis, et le 27 mars au Royaume-Uni. À ce moment-là,John Lennon est décédé depuis plus de trois mois, assassiné le 8 décembre 1980 devant le Dakota Building. L’ambiance autour de la sortie est donc profondément marquée par le deuil et l’hommage.

L’accueil critique et commercial

Aux États-Unis, la chanson grimpe jusqu’à la10ᵉ placedu Billboard Hot 100, une performance notable dans un climat chargé d’émotion. Elle atteint également la 6ᵉ position dans le classement Adult Contemporary, confirmant son impact auprès d’un public plus mature. Au Royaume-Uni, elle se hisse à la 30ᵉ place.

En Suisse et au Canada, “Watching The Wheels” entre dans le top 10, symbole de l’affection internationale pour Lennon et pour la sincérité de son message.

Pochette et symbolique

Le single est accompagné d’une pochette montrant Lennon et Ono s’éloignant du Dakota. La photographie est signéePaul Goresh, un amateur devenu familier de Lennon, connu notamment pour avoir pris la photo de l’autographe que John signe à son assassin quelques heures avant le drame.

Héritage et postérité

Une chanson-manifeste

Au fil des décennies, “Watching The Wheels” est souvent cité commelemorceau emblématique du “Lennon contemplatif” du début des années 1980. Au-delà de son aspect mélodique, il résonne comme un manifeste de la possibilité de s’extraire de la frénésie ambiante pour mener sa vie selon ses propres termes.

Inclusion dans les compilations et coffrets

La chanson figure sur diverses compilations posthumes, commePower To The People – The Hits(2010), ainsi que dans le coffretJohn Lennon Anthology(1998) et sur l’albumAcoustic(2004), qui propose parfois des versions plus dépouillées. Elle occupe donc une place de choix dans la mémoire collective et la discographie de Lennon, aux côtés de classiques tels que “Imagine” ou “Woman”.

L’aspect philosophique de Lennon

Avec “Watching The Wheels”, Lennon renoue avec l’esprit de ses grandes périodes introspectives. Du “Nowhere Man” des Beatles à “Mind Games” en solo, il a toujours su utiliser une forme de métaphore (les “roues” de la vie, l’observation du monde, le lâcher-prise) pour exprimer son regard distancié sur la société. La chanson synthétise cette vision et sert de testament : un Lennon libéré du besoin de performer à tout prix, préférant savourer la simple observation du mouvement universel.

l’art de “laisser tourner les roues”

“Watching The Wheels”est un témoignage vibrant de la nouvelle philosophie de John Lennon en 1980 : celle d’un homme qui assume son choix de prendre du recul. Loin des feux de la rampe, il trouve dans la vie domestique et l’observation quotidienne la sérénité qui lui avait fait défaut pendant tant d’années.

Si la chanson est teintée de l’ombre tragique de l’assassinat de Lennon, elle n’en reste pas moins un hymne à la liberté individuelle et à l’importance de “laisser aller” les choses. Quiconque écoute “Watching The Wheels” se confronte à un Lennon apaisé, en paix avec lui-même, comme s’il avait enfin trouvé un sens, ou du moins une façon de se situer dans un monde qui tourne sans cesse.

Entre simplicité musicale et force introspective, “Watching The Wheels” persiste à inspirer. C’est le portrait d’un artiste réconcilié avec la part la plus essentielle de lui-même : observer, aimer, et laisser tourner les roues.

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