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Yoko Ono à Montréal – Guerre et paix

Quarante ans après le bed-in au Reine-Elizabeth, le Musée des beaux-arts retrace à travers une étonnante exposition gratuite les tribulations et la mission pacifiste d’un couple improbable et mythique, John le Beatle et Yoko l’artiste d’avant-garde. L’inauguration avait lieu hier, en présence plus que remarquée de la veuve Lennon. Dix minutes en tête-à-tête.
Yoko. Là, toute menue, élégamment chapeautée, me souriant puis me tendant la main. Je balbutie quelque chose comme un «hello Yoko» en araméen. J’accuse le coup. C’est fou, c’est Yoko. Tous les albums John & Yoko de mes 40 ans de beatlemanie défilent en accéléré. Elle s’assied, attend ma première question. J’ai dix minutes au compteur. Je suis le deuxième d’une courte liste, suivant la conférence de presse. Juste avant, dans une salle à côté du même Salon des amis, au deuxième étage du Musée des beaux-arts, il y a eu minidrame. On chuchote autour de moi que le type s’est mis à causer Beatles à Yoko. Ce n’était pas prévu: nos questions ont été envoyées à New York et passées au tamis. Des gardes du corps se sont jetés sur le contrevenant, l’ont maîtrisé, puis jeté par la fenêtre.
J’exagère. Mais le message est clair. S’en tenir au sujet. L’expo. Imagine – La Ballade pour la paix de John & Yoko. Pas de problème. D’autant qu’elle est bien, l’expo. J’en arrive. Le parcours est fascinant, l’approche multimédia n’empêche pas les vrais de vrais artefacts, généreusement fournis par Yoko. Dessins et manuscrits, la Gibson acoustique sur laquelle John gratta Give Peace a Chance, etc. Quand on entre, il y a le fameux Ladder piece, l’échelle au sommet de laquelle, un bon jour de 1966, le Beatle John Lennon trouva une loupe et, à travers la loupe, un mot: «Yes». La ballade de John & Yoko a commencé là. En voyant l’échelle, on a le goût de faire comme John. De fait, on y est invité. «Oui, acquiesce-t-elle. C’est le but. Si vous voulez monter, allez-y. Si vous voulez jouer Imagine au piano, le piano est là pour ça. Avez-vous essayé?» Si. J’ai plaqué deux accords sur le Baldwin blanc, le do et le fa, je ne savais pas le reste. «Ce n’est pas important, le reste, vous le jouez dans votre tête.»
Elle la regarde, ma tête. Voilà un fan de Beatles, c’est écrit dans ma face. Un autre qui m’en veut, se dit-elle forcément. Un autre qui fait le gentil parce que je suis Yoko Ono et qui est là parce que c’est le plus près de John qu’il sera jamais. Pourtant, elle sourit. Dans ma paranoïa, je suis certain que derrière ce sourire elle nous déteste tous, fans des Beatles, on a tous quelque chose en nous du gars qui lui a tué son John. Ce côté obsessif. Pensez, j’ai apporté mon vinyle d’Unfinished Music 2: Life With the Lions, son deuxième album expérimental avec John. Espérant la dédicace, comme l’autre, l’assassin. Pas surprenant qu’elle ne se déplace pas sans ses cerbères. Je pourrais être dangereux. On ne sait jamais.
Désarmante Yoko. Quand je sors le disque, c’est elle qui prend les devants. «Je peux vous écrire un mot si vous voulez…» Elle dessine un soleil à côté de mon nom. Je craque. Et puis je lui dis que je n’en reviens pas qu’elle existe vraiment, qu’à distance, John et Yoko, c’est presque une fiction. Elle se penche vers moi, me prend le bras. «Nous sommes semblables, vous savez. Mon coeur bat, le vôtre aussi. We are family.» Je mollis du genou. J’aime cette Yoko.
C’est pourtant la même Yoko Ono que je vilipende à chaque fois que je regarde Let It Be, ce film qui documente les Beatles tentant de recoller leurs morceaux en janvier 1969. Elle est partout dans le film, John et elle ne se quittent plus. C’est plus flagrant encore dans les quelques heures de chutes du film, qui circulent sous le manteau. Il y a ce moment où les Beatles sont en cercle, en train de se familiariser avec une nouvelle chanson de Paul McCartney, et Yoko, collée à John, l’accapare. Lui chuchote des trucs, lui joue dans les cheveux, lui fait des mamours. Moi j’enrage, je hurle! Mais vas-tu donc le laisser tranquille à la fin! C’est les Beatles, bon sang de bonsoir! En train de créer Get Back! Sortez-la, quelqu’un! Et elle reste là, et c’est évident qu’elle n’écoute pas. Les Beatles, c’est pas son monde. Son monde c’est l’avant-garde, les expositions, les performances. Elle, son intérêt, c’est John, créer avec John, amener John de son côté du monde. Ai-je haï quelqu’un plus qu’elle?
Et la revoilà justement en ce mardi matin, dans son monde à elle. Dans cette immense galerie d’art qu’est un musée, la seule différence étant qu’on ne peut rien acheter. Bag One, le célèbre portfolio de lithos érotiques que je viens d’admirer, ça ferait bien, dans la chambre, à l’appartement. Que pense-t-elle de tous ces gens qui s’arrachent les gribouillages de Lennon dans les ventes aux enchères? «Ça m’étonne toujours. En même temps, je comprends. John a touché les gens, alors ils veulent un lien. C’est humain. On a besoin de connecter.»
Je lui raconte qu’ado, une des premières chansons que j’ai su jouer était Oh Yoko! Parce que c’était simple. Elle rit de ce petit rire enfantin que je lui connais. «C’est la beauté de cette chanson: c’est tout simple!» Se souvient-elle du moment où John la lui a chantée? «Oh oui! It was in the middle of the night…» Nous rions. C’est le texte de la chanson : «In the middle of the night / I call your name / Oh Yoko…» Elle ajoute, contente: «Les chansons vivent quand elles sont chantées…»
On parle un peu de la paix dans le monde, de ce qu’il en advient, 40 ans après le bed-in. «Il y a du progrès, résume-t-elle. Il y a Obama, c’est déjà beaucoup.» C’est la fin des dix minutes allouées. J’ai pas mal esquivé le sujet majeur, je trouve. Qu’importe, il y a l’expo pour ça. Notamment une affiche au slogan célèbre: War Is Over If You Want It. Slogan pertinent, hier comme aujourd’hui. La preuve, Yoko et moi, on a fait la paix.

Source : Sylvain Cormier

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