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Phil Spector, le poète devenu un assassin

Mort samedi dans une prison de Californie, à 81 ans, Phil Spector aura laissé sur le rock un sillage aussi lumineux que tragique.
Avoir peint la chapelle Sixtine et se retrouver hirsute, échevelé, avec des yeux de dément dans une prison de haute sécurité… Tel est le terrible destin de Phil Spector, l’une des créatures (puisqu’il faut bien les appeler ainsi) qui ont écrit la légende noire du rock and roll. Il restera l’homme de cette pop luxuriante et vernie du début des années 1960, le sculpteur du « Wall Of sound », cette manière de superposer les sons pour les densifier et créer une réverbération aux effets saisissants, tout de suite reconnaissable.

Chaque groupe vocal passé entre ses mains en ressortait avec le pouvoir d’une fée. Le producteur Ahmet Ertegün, patron du label Atlantic, dira de lui : « Il pouvait convoquer n’importe quelle chanteuse de studio et décrocher un succès grâce à sa production. » En 1962/63, Les Crystals, les Ronettes (dont il épousa la chanteuse Ronnie Bennett) et les Righteous Brothers enchantent les ondes avec de « petites symphonies pour mômes », comme il le dira, qu’il compose et arrange : “Be My Baby”, “Then He Kissed Me”, “Da Doo Ron Ron”…

Collines ensoleillées de cuivres, guirlandes de guitares, claviers argentés. Le romancier Tom Wolfe l’appellera « l’empereur de l’adolescence » et de l’arborescence… À 23 ans, il est millionnaire, le producteur le plus en vue du show-business, grimpé trop haut, trop vite, qui décroche les « numéros un » comme des billes de loto. On le remarque de loin avec ses gilets de soie, chemises à jabots et talonnettes. Rien n’est trop beau pour un génie comme lui, même si les musiciens sentent que ce Mandrake de commedia ne tourne pas aussi rond qu’un 45 tours. Car si ses structures mélodiques sont d’une clarté éblouissante, sa vie mentale connaît des désordres.

Il n’était pas prédestiné à devenir un faiseur de reines, un dandy du son. Il naît le lendemain de Noël, le 26 décembre 1939, dans une famille juive du Bronx, fils de ferronnier. Pendant son enfance, il entend le fracas du métro aérien qui fait trembler les vitres de leur appartement. On peut certainement expliquer une partie de sa dérive par le suicide de son père Ben, dont on n’a jamais su les raisons. Le drame affecte profondément le garçon de dix ans. Il se souvient des soirées musicales autour du feu, du chant de son père, de leurs échanges sur le jazz. Sa mère, épouvantée, dépassée par l’éducation, ne cesse de s’inquiéter pour la santé de Phil. Désireux d’échapper à l’emprise maternelle, il se plonge dans l’étude de la guitare et du piano, puis décide d’enregistrer un disque, réunit un peu d’argent avec quelques amis et finance son premier titre, “To Know Him Is Love Him” en 1958, en hommage à son père. Le disque ne devait pas dépasser le cercle intime, mais voilà : l’audience est au rendez-vous, prélude à une décennie de grâce et de scintillements.

TROIS GRANDS ALBUMS MAUDITS
Phil Spector voudra toujours aller plus loin. Les puristes lui reprocheront de dénaturer les musiciens. Trois grands albums fabriqueront sa légende de perfectionniste insomniaque sous amphés. Il s’entiche de Tina Turner jusqu’à convaincre son mari (on connaît le tempérament furieux du bonhomme) de faire tapisserie sur ce coup-là. Ike accepte, à condition que son nom apparaisse sur le disque. Phil refuse le moindre changement. Chaque note, chaque son semble gravé sur la Table des Dix Commandements. Il s’épuise, brûle des nuits blanches, polit Tina et Ike jusqu’à en faire deux poupées en vitrine dans un magasin de luxe.

Sorti en 1966, “River Deep, Mountain High”, avec sa carrosserie clinquante et ses phares lumineux, est certainement le chef-d’œuvre du duo, loin des rugissements primaux du rhythm and blues, mais aussi un cuisant échec commercial. Spector peut entamer alors sa complainte d’artiste maudit comme son héritier Brian Wilson des Beach Boys. Il s’enferme dans son bureau, critiquant le milieu musical qui le rejette. À la fin des années 1960, alors que les émois sentimentaux de son empire de l’adolescence s’effilochent dans le souvenir, il devient l’homme des dernières chances, celui que l’on convoque pour essayer de sauver les flammes vacillantes des amours en berne.

COLLABORATION AVEC LEONARD COHEN ET LES BEATLES
Le deuxième disque mythique sur lequel il intervient, en janvier 1969, est “Let It Be”. Les Beatles, rongés de lassitude, comptent sur lui pour relancer leur œuvre malade. McCartney s’est opposé à sa venue. Spector baisse les lumières, invite d’autres musiciens, leur défend de picoler trop. Il fait régner un ordre monacal, charge la barque de cordes, met une harpe céleste sur la ballade de McCartney, “The Long And Winding Road”, la métamorphosant en merveille. Une nouvelle déception. Les Anglais éreintent « l’Américain » de comédie musicale qui a perdu les Beatles.

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Le dernier héros qu’il tire des eaux noires est Leonard Cohen, en 1977. L’entourage de l’artiste canadien lui déconseille de poursuivre un tel projet, trop éloigné de sa poésie janséniste, et travailler avec un tel producteur, n’est-ce pas… déraisonnable ? Spector peut être de très bonne humeur, sombrer dans l’apathie ou céder à des rages folles. Il commence à avoir la mauvaise habitude de braquer tout le monde avec son flingue. Il pointera même le canon de son revolver sur John Lennon. Cohen sent lui aussi la caresse de métal sur son cou : « Leonard, je t’aime. » Et Cohen de répondre : «… J’espère bien, Phil. »

Ce qui sort de cette gestation funèbre demeure une œuvre que l’on est nombreux à avoir appréciée, “Death Of Ladies man” (1977), pleine de vibrations sonores, de résonnances métalliques, de théâtralité somptueuse, mais que les amoureux de Cohen – c’est une habitude – détesteront.

Les années suivantes seront pour lui presque blanches, à l’exception d’une collaboration avec les Ramones et d’une demande inaboutie de Céline Dion. Il est ce génie qui descend de la colline et emmène les starlettes dans sa berline noire. Lana Clarkson, une serveuse qui a, comme beaucoup de jeunes filles à Los Angeles, des rêves de cinéma et semble prête à suivre les princes charmants de Malibu même maléfiques, croise Spector dans un club. En d’autres temps, il l’aurait transformée en étoile. Il en fait un cadavre, retrouvé le 3 février 2003, dans son château de l’Alhambra, une balle dans la tête. Ni sa réputation ni son argent ne le sauveront, et après deux procès, il est condamné le 19 mai 2009 à 19 ans de prison. Ce n’est plus le mur du son qui l’attend mais le mur silencieux d’une prison, son tombeau. En apprenant la nouvelle de sa disparition à 81 ans, son ancienne femme Ronnie Spector a exprimé sa tristesse. Elle avait aimé un autre homme, à une époque où sa main de magicien menait les femmes au paradis.

Par Stéphane Koechlin

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