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George Harrison : le génie discret des Beatles enfin reconnu

Longtemps considéré comme le « troisième Beatle », George Harrison a pourtant laissé une empreinte musicale inestimable. Compositeur discret mais talentueux, il a signé des chefs-d’œuvre comme « While My Guitar Gently Weeps » et « Something ». Son influence s’est poursuivie après les Beatles, avec des albums marquants et des collaborations légendaires. Son engagement spirituel et sa générosité artistique l’ont poussé à offrir des chansons à d’autres, enrichissant ainsi l’histoire du rock. Son héritage, tant musical que philosophique, continue d’inspirer des générations entières.


Depuis des décennies, le nom de George Harrison résonne dans l’imaginaire collectif comme celui du « troisième » Beatle, le discret guitariste que l’on voyait en retrait, tandis que John Lennon et Paul McCartney trustaient la quasi-totalité de la scène médiatique et créative. Pourtant, à soixante ans de distance du début de la Beatlemania, il apparaît de plus en plus clairement à quel point Harrison était un compositeur à part entière, un artiste d’une sensibilité fine et un musicien dont la patience et la persévérance ont fini par accoucher de quelques-unes des plus belles chansons de l’histoire du rock. Ce long parcours s’accompagne d’œuvres majeures, en solo comme avec ses célèbres compagnons, et d’un apport incontestable à la tradition du rock britannique. Plus fascinant encore, Harrison a également offert nombre de ses compositions à d’autres artistes, un legs parfois méconnu, qui témoigne autant de son esprit généreux que de la profondeur de son inspiration. Dans les lignes qui suivent, nous plongerons au cœur de cet héritage et décrirons les circonstances qui l’ont amené, souvent par discrétion ou par pur élan amical, à fournir à d’autres interprètes des chansons qu’il avait pourtant façonnées de ses propres mains. Pour ne pas rompre le fil narratif, nous évoquerons également son parcours spirituel, son rapport au succès, les années Beatles et l’étendue de sa production artistique après la dissolution du groupe. Du premier accord griffonné à Hambourg jusqu’aux ultimes vocalises enregistrées aux côtés de son fils Dhani, l’histoire de George Harrison demeure celle d’un être profondément épris de musique, de partage et de transcendance.

Un jeune musicien dans l’ombre d’un duo étincelant

Lorsque George Harrison fait son entrée dans l’univers musical, c’est d’abord en tant que très jeune guitariste, embarqué dans l’aventure de The Beatles avec ses amis de Liverpool. Dans la première période du groupe, dominée par l’explosion de la Beatlemania, l’attention des médias comme celle du public se focalise essentiellement sur le tandem Lennon-McCartney, dont les chansons déferlent sur les ondes. Harrison, plus réservé, se sent souvent en retrait de cette dynamique créative. Pourtant, il n’hésite pas à tenter ses propres incursions dans l’écriture. En 1963, il signe « Don’t Bother Me », un morceau qu’il interprète lui-même et qui figure sur l’album With the Beatles. A l’époque, les regards se portent avant tout sur les tubes fulgurants comme « From Me to You » ou « She Loves You », mais le titre de Harrison, avec son ambiance légèrement mélancolique, laisse déjà pressentir une personnalité à part.

Au cours des deux années suivantes, la frénésie s’intensifie, et Harrison ne parvient guère à s’imposer comme parolier ou compositeur majeur dans la machine Beatles. Les fans hurlent à la moindre apparition du groupe, les tournées mondiales se succèdent, et Lennon-McCartney continuent de livrer à un rythme effréné les chansons qui écrivent la légende. « Can’t Buy Me Love », « A Hard Day’s Night », « Help! » : autant de succès planétaires qui laissent une place encore réduite aux tentatives de Harrison. Malgré tout, le jeune guitariste apprend avec soin le métier, observe la dynamique des deux leaders, expérimente de son côté et affine peu à peu son style. A partir de 1965, avec l’album Help!, il parvient à glisser un ou deux titres par disque, un mouvement qui s’amplifie progressivement et qui aboutira, dans les dernières années des Beatles, à une véritable reconnaissance de son talent.

Une plume singulière qui s’éveille

La seconde moitié des années 1960 voit Harrison devenir un atout de plus en plus précieux pour les Fab Four. Sur l’album Rubber Soul, par exemple, il introduit dans le paysage musical occidental la sonorité du sitar, instrument traditionnel indien qui lui ouvre les portes de la musique orientale et de la philosophie hindoue. Sa quête spirituelle se reflète dans ses textes, souvent axés sur la recherche de sens et sur un questionnement presque métaphysique de l’existence. Bien sûr, la dynamique Lennon-McCartney demeure écrasante, mais Harrison s’affirme enfin sur le plan artistique.

Avec Revolver en 1966, il signe « Taxman », un morceau au ton caustique qui attire l’attention sur ses qualités d’auteur-compositeur. Puis vient Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, expérimentation totale où son appétit pour les sonorités indiennes transparaît dans « Within You Without You ». Chaque album abrite ainsi l’empreinte d’un George Harrison qui prend peu à peu confiance en lui. En 1968, sur The Beatles (plus connu sous l’appellation « The White Album »), il livre « While My Guitar Gently Weeps », un titre devenu emblématique, marqué par la contribution d’Eric Clapton à la guitare solo. Ce joyau de la discographie des Beatles témoigne de la progression foudroyante de Harrison, qui parvient à marier simplicité mélodique et profondeur émotionnelle. En parallèle, Harrison accumule dans ses tiroirs toute une moisson de chansons que Lennon et McCartney, focalisés sur leurs propres compositions, laissent de côté ou négligent.

C’est ainsi qu’au tournant de la fin des années 1960, alors que le groupe se délite et que les tensions internes s’aggravent, Harrison se retrouve avec une réserve considérable de titres qui n’ont pas trouvé leur place sur les disques officiels. Parmi eux, « Isn’t It a Pity » date même de l’époque de Revolver et n’a jamais pu être exploité par les Beatles. Enregistré le 25 février 1969, jour anniversaire de Harrison, son premier album solo post-Beatles sera un triple disque, All Things Must Pass, fruit de ce trop-plein créatif demeuré jusqu’alors dans l’ombre du tandem Lennon-McCartney. Le succès immense de l’album sera à la fois une délivrance et une révélation : George Harrison est un compositeur accompli, apte à remplir à lui seul plusieurs faces de vinyles avec des morceaux captivants, à la fois personnels, mystiques et d’un abord mélodique irrésistible.

Des chansons destinées aux autres : la découverte de “Sour Milk Sea”

L’une des facettes méconnues de George Harrison réside dans les chansons qu’il a offertes à d’autres. A la fin des Beatles, lorsque le groupe fonde Apple Records, Harrison s’investit dans la production et l’encadrement de nouveaux talents, parfois avec la volonté de soutenir de jeunes musiciens prometteurs, parfois pour le plaisir de collaborer avec des amis de longue date. Dans ce contexte, on peut évoquer un titre en particulier, « Sour Milk Sea », initialement composé par Harrison durant le séjour des Beatles à Rishikesh, en Inde, sous la férule du Maharishi Mahesh Yogi.

Là-bas, Harrison, déjà passionné par la philosophie hindoue et les pratiques de méditation transcendantale, s’imprègne d’un univers spirituel qui transparaît dans ses chansons. « Sour Milk Sea » en est un parfait exemple. Bien que la structure de la chanson ait été posée dès la période des Beatles, le titre n’atterrit finalement pas sur un album officiel du groupe. Harrison décide plutôt de l’offrir à Jackie Lomax, un chanteur à la voix puissante qu’il a pris sous son aile chez Apple Records. Dans la version de Lomax, parue en 1968, l’orchestration mêle rock et soul, tandis que les paroles évoquent, en filigrane, la quête d’une élévation spirituelle loin du marasme de la vie quotidienne. Les thèmes de la purification de l’esprit, du rejet de la superficialité et de la quête intérieure se glissent ainsi dans un contexte plus nerveux, porté par un groove bluesy. Pour l’enregistrement, Harrison sollicite même Eric Clapton, ainsi que Ringo Starr et Paul McCartney en soutien instrumental, faisant de cette version une espèce de « Beatles invisible », où chacun apporte son savoir-faire à un artiste extérieur.

L’amitié indéfectible avec Eric Clapton et la naissance de “Badge”

George Harrison et Eric Clapton entretiennent dès la fin des années 1960 un lien artistique et personnel d’une rare intensité. L’emblématique solo de Clapton sur « While My Guitar Gently Weeps », enregistré pour l’album blanc des Beatles, fut la première manifestation publique de cette complicité. Au-delà de l’admiration mutuelle, leur relation fut marquée par un entrecroisement constant, Clapton finissant même par épouser Pattie Boyd, l’ex-épouse de Harrison, dans un climat pourtant demeuré étonnamment cordial. Tous deux partagent un amour profond du blues, et leur amitié se concrétise par de nombreuses collaborations.

En 1969, Clapton prépare l’ultime album de Cream, Goodbye. Harrison, alors déjà lassé par les tensions qui minent les Beatles, contribue à un titre baptisé « Badge » (surnom attribué un peu par hasard, à cause d’une annotation manuscrite mal lue qui aurait pu dire « Bridge »). Ce morceau de Clapton et Harrison reflète l’esprit d’une époque où la frontière entre groupes et artistes pouvait s’effacer au profit de projets croisés. A l’écoute de « Badge », on perçoit la touche de Harrison dans les enchaînements d’accords et dans l’atmosphère un peu contemplative du pont musical, tandis que Clapton, Ginger Baker et Jack Bruce apportent l’énergie caractéristique de Cream. Le résultat, à la fois mélodique et incisif, sert de chant du cygne à un groupe déjà légendaire et renforce la place de Harrison comme un compositeur capable d’enrichir le répertoire d’autrui.

Une rencontre avec la production “Wall of Sound” : “Try Some, Buy Some”

Dans les années qui suivent la séparation des Beatles, George Harrison continue de collaborer avec Phil Spector, célèbre producteur à l’origine du “Wall of Sound”, qui avait déjà co-produit Let It Be. Spector est un personnage complexe, mais son sens de l’arrangement séduit Harrison, qui voit en lui un moyen d’amplifier la dimension spirituelle de sa musique. Pendant l’enregistrement d’All Things Must Pass, Harrison compose plusieurs morceaux où il explore des thématiques liées au détachement matériel, à la futilité des possessions terrestres et à la nécessité de s’éveiller à la transcendance. Parmi ces chansons, figure « Try Some, Buy Some », qui ne sera finalement pas retenue pour le triple album.

Or, Harrison souhaite offrir un “comeback” à Ronnie Spector, l’épouse de Phil Spector, anciennement chanteuse des Ronettes. Il la fait venir à Londres, lui propose la chanson, et l’enregistre avec elle aux célèbres studios EMI et Trident. Le morceau, porté par un orchestre riche et une production dense, se révèle plus méditatif que ce à quoi Ronnie Spector était habituée. L’idée était de symboliser une renaissance artistique et personnelle pour la chanteuse, mais la chanson, trop éloignée de son univers, peine à rencontrer le succès. Harrison la recyclera plus tard pour son album Living in the Material World (1973), qui s’inscrit justement dans cette veine spirituelle très marquée. Les paroles tournent autour de la prise de conscience qu’il existe plus à découvrir au-delà de la simple poursuite des biens matériels. David Bowie, grand admirateur de Harrison, ira même jusqu’à inclure sa propre version de « Try Some, Buy Some » sur son album Reality en 2003, preuve de la postérité de ce titre si singulier.

L’empreinte durable dans la carrière de Ringo Starr : “Sunshine Life for Me” et “I Still Love You”

Une fois les Beatles séparés, chacun des membres entreprend sa propre carrière. John Lennon et Paul McCartney prennent rapidement le chemin d’albums solo et de nouvelles formations musicales, tandis que Ringo Starr, souvent sous-estimé, se lance lui aussi dans l’aventure en solo. Or, Harrison demeure particulièrement attentif à la réussite de son ancien compère batteur. Ils restent tous deux très liés et, lors de l’enregistrement de l’album Ringo (1973), Harrison vient lui prêter main-forte, co-écrivant plusieurs morceaux et jouant sur quelques pistes. Au cœur de ces collaborations, il y a un titre qui sort du lot : « Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) », écrit intégralement par Harrison pour Ringo. Marqué par une tonalité folk et une pointe de couleur irlandaise inspirée par un voyage que George a effectué dans la verte Erin avec sa femme Pattie Boyd, le morceau donne à Ringo l’occasion d’exprimer sa facette la plus chaleureuse et décontractée.

Plus tard, Harrison réitère l’exercice en écrivant « I Still Love You » pour Ringo’s Rotogravure (1976). Curieusement, il avait d’abord imaginé cette chanson pour la légendaire Shirley Bassey, mais le projet n’a finalement pas vu le jour. Toujours est-il que la générosité de Harrison envers Ringo s’inscrit dans la continuité de l’esprit Beatles, où, malgré les disputes et les différends, subsiste un lien profond. Dans ces années post-Beatles, Harrison ne se contente pas de briller pour son propre compte : il met aussi ses talents au service de ses amis proches, leur offrant un soutien musical et affectif, à l’image de la cohésion fraternelle qui demeure entre eux.

La carrière solo et les années de philanthropie

Sitôt la page Beatles tournée, Harrison ne tarde pas à s’affirmer en solo. All Things Must Pass est un triomphe critique et commercial, porté par des titres comme « My Sweet Lord » et « What Is Life ». L’album révèle un homme en quête de paix intérieure et ouvert à l’exploration de styles variés, du rock au gospel, en passant par des accents presque country. Le succès d’All Things Must Pass lui confère une nouvelle dimension : Harrison n’est plus seulement le “Beatle tranquille”, il devient un pilier du rock mondial. Dans la foulée, il se lance dans l’organisation du Concert for Bangladesh en 1971, première grande manifestation caritative de ce type, qui réunit, entre autres, Ringo Starr, Eric Clapton, Bob Dylan et Leon Russell. L’objectif est de lever des fonds pour venir en aide aux réfugiés du Bangladesh, alors en proie à la guerre et à la misère. Cet événement humanitaire, précurseur d’autres rassemblements solidaires comme Live Aid, assoit la réputation d’un Harrison altruiste et humaniste.

Dans les années 1980, il fonde HandMade Films, une société de production et de distribution cinématographique dont l’objectif premier était de soutenir le film Monty Python’s Life of Brian. Avec le temps, HandMade Films devient un acteur crucial du cinéma britannique indépendant, participant à la production de films comme Time Bandits ou Mona Lisa. Parallèlement, Harrison continue de publier des albums, avec plus ou moins de régularité et de succès critique. Certains disques, comme Thirty Three & 1/3 (1976), reçoivent un accueil chaleureux, tandis que d’autres passent plus inaperçus. Néanmoins, Harrison reste un artiste respecté, réputé pour sa sincérité et son refus de céder aux sirènes d’un marketing outrancier.

La parenthèse “Travelling Wilburys” et les nouvelles offrandes à Clapton

Vers la fin des années 1980, Harrison participe à la formation des Travelling Wilburys, un “supergroupe” qui réunit Bob Dylan, Jeff Lynne, Roy Orbison et Tom Petty. Sous des pseudonymes facétieux, chacun apporte son talent à des chansons collectives, pleines d’humour et de second degré. Harrison y figure en tant que “Nelson Wilbury”, s’amusant à brouiller les pistes tout en renouant avec la camaraderie de groupe qu’il avait connue chez les Beatles. L’alchimie est évidente, les albums Traveling Wilburys Vol. 1 (1988) et Vol. 3 (1990) remportent un vif succès. Pour Harrison, c’est aussi un moyen de décompresser et de se reconnecter à ce plaisir simple de la création collective.

En 1989, un nouvel événement marquant se produit : Eric Clapton s’apprête à sortir Journeyman, un album censé marquer sa renaissance après des années marquées par l’alcool et d’autres excès. Harrison, toujours aussi proche de son ami, lui offre « Run So Far », une composition où perce la sensibilité mélodique chère à l’ex-Beatle. Le titre est un témoignage supplémentaire de cette complicité artistique de longue date. Par ailleurs, Clapton aurait pu enregistrer un autre morceau de Harrison, « That Kind of Woman », mais c’est finalement le guitariste Gary Moore qui en hérite pour son album Still Got the Blues. La voix plus rugueuse de Moore convenait peut-être mieux à l’énergie du titre, tandis que Clapton, en pleine réinvention, privilégiait la sobriété de « Run So Far ».

Une muse inépuisable, même dans la discrétion

Si l’on considère la quantité de chansons composées par Harrison, on constate combien son activité créatrice ne s’est jamais interrompue, même lorsqu’il n’occupait plus le devant de la scène médiatique. Des collaborations ponctuelles surgissent régulièrement, qu’il s’agisse de prêter sa guitare slide emblématique à d’autres artistes ou d’enregistrer quelques harmonies vocales pour des amis. Harrison est parfois crédité, parfois non, comme en témoigne la rumeur autour de certains projets où il préférait rester dans l’ombre. Son plaisir était avant tout de jouer et de contribuer, moins de briller sur le devant de la scène.

L’exemple de « Horse to the Water » illustre bien cet état d’esprit. En 2001, alors que la maladie le ronge déjà, Harrison enregistre ce morceau avec Jools Holland’s Rhythm & Blues Orchestra et son fils Dhani Harrison. La chanson figure sur l’album de Jools Holland intitulé Small World, Big Band, et l’on y reconnaît immédiatement la voix douce et légèrement nasale de Harrison, malgré la fatigue qui le guette. Ces ultimes sessions confirment qu’il est demeuré actif jusqu’au bout, mû par le même sens du partage et de la création collective.

Une spiritualité affirmée qui imprègne l’ensemble de l’œuvre

Pour comprendre le style de George Harrison, il est indispensable d’évoquer sa dimension spirituelle, omniprésente dans ses compositions comme dans sa vie quotidienne. En effet, depuis son premier contact avec la musique indienne, jusqu’à son immersion complète dans l’univers du yoga et de la méditation transcendantale, Harrison a fait de la quête mystique le cœur de son inspiration. Des chansons comme « My Sweet Lord » ou « Awaiting on You All » expriment ouvertement sa foi et son désir d’élever la conscience, loin du conformisme pop ou du rock rebelle de certains de ses contemporains. Même lorsqu’il offre des titres à d’autres artistes, on retrouve souvent un propos sous-jacent sur la vanité du monde matériel ou la recherche d’une vérité profonde.

Ce parcours spirituel n’est pas sans lien avec la dimension philanthropique qu’il a su déployer. Le Concert for Bangladesh en constitue l’acte fondateur, mais Harrison ne cessera de s’impliquer dans d’autres causes, avec une modestie qui contraste parfois avec la flamboyance d’autres stars de l’époque. Son travail auprès d’organisations caritatives, son soutien discret à la diffusion de la culture indienne en Occident, ou son accompagnement de proches en difficulté témoignent d’une cohérence entre sa musique et ses actes. Au fil des ans, Harrison a construit la figure d’un artiste en retrait, soucieux de ses racines spirituelles et conscient de la nature éphémère de la célébrité. De fait, lorsqu’il consent à céder l’une de ses chansons, ce geste s’inscrit presque dans un élan naturel de détachement, comme s’il considérait que la musique ne lui appartenait pas totalement et qu’il était légitime d’en faire cadeau à qui saurait la faire vivre.

Le rôle clé des sessions d’enregistrement et la dynamique de groupe

Il est intéressant de noter à quel point Harrison s’est montré prolifique lors de certaines séances d’enregistrement, profitant de la présence des musiciens qui l’entouraient pour stimuler sa créativité. Les studios comme Abbey Road, Apple Studios ou Trident Studios, sont des lieux où il aimait convier Eric Clapton, Billy Preston, Ringo Starr et d’autres complices pour faire germer de nouvelles idées. Dans le cas de Jackie Lomax et de la chanson « Sour Milk Sea », Harrison n’a pas hésité à recruter les meilleurs pour sublimer la prestation du chanteur. De même, lorsqu’il participe à la création de « Badge » pour Cream, il cherche à adapter sa vision musicale à l’esthétique d’un groupe déjà connu pour son intensité psychédélique. Cette capacité d’adaptation atteste de sa souplesse artistique et de son respect pour l’identité de ceux à qui il prêtait sa plume.

A l’origine, nombreux sont les témoignages qui dépeignent Harrison comme une figure discrète, parfois introvertie au sein des Beatles. Cependant, derrière cette réserve, il avait compris l’importance d’une bonne entente collective pour aboutir à des chansons qui transcendent les individualités. Sa contribution à la préparation de l’album Ringo, ou son rôle auprès de Ronnie Spector pour « Try Some, Buy Some », montrent une volonté de s’effacer partiellement pour mettre en valeur la prestation de l’autre. A cet égard, Harrison se positionne davantage comme un guide spirituel ou un conseiller musical, plutôt que comme un compositeur cherchant à imposer sa signature.

La singularité de “Run So Far” et la maturité de Clapton

« Run So Far », enregistré par Eric Clapton pour Journeyman, témoigne à la fois de l’estime mutuelle et de l’évolution de Clapton, alors en pleine reconstruction personnelle. Les années 1980 n’ont pas été tendres avec Clapton, englué dans des problèmes de dépendance. L’album Journeyman, paru en 1989, représente pour lui une véritable résurrection, tant sur le plan artistique que personnel. Harrison, voyant son ami reprendre des forces, juge opportun de lui offrir ce morceau au climat empreint de résilience. Les paroles évoquent l’idée de persévérance face à l’adversité, un thème qui trouve un écho profond dans la trajectoire de Clapton. Dès lors, l’interprétation de celui-ci s’imprègne d’une sincérité touchante, portée par des guitares qui alternent douceur et intensité.

Le geste de Harrison est d’autant plus symbolique qu’il aurait pu conserver « Run So Far » pour l’un de ses propres albums. Il choisit toutefois de l’attribuer à Clapton, sachant combien cette chanson résonnera avec l’état d’esprit du guitariste à ce stade de sa carrière. D’une certaine manière, c’est aussi un prolongement de la collaboration entamée sur « While My Guitar Gently Weeps ». A deux décennies de distance, ce don prouve qu’entre Harrison et Clapton, l’échange musical ne s’est jamais tari, consolidant une amitié parfois soumise à rude épreuve, mais restée inébranlable.

Le détour par Gary Moore : “That Kind of Woman”

Au moment où Harrison offre « Run So Far » à Clapton, il compose également « That Kind of Woman », un titre qu’on imagine aisément dans la veine blues-rock qui a fait la réputation de Clapton. Finalement, c’est Gary Moore, guitariste irlandais à la voix plus rugueuse et au jeu incisif, qui hérite de la chanson et la grave sur son album Still Got the Blues (1990). Le timbre de Moore et son style direct siéent peut-être mieux à l’énergie du morceau, plus âpre que ce que Clapton souhaitait défendre sur Journeyman. Harrison ne fait pas d’histoire et laisse Moore s’approprier l’œuvre, illustrant une fois de plus sa manière ouverte de collaborer. Il ne s’accroche pas à ses chansons comme à des trésors jalousement gardés, mais les laisse voyager pour qu’elles trouvent la voix la plus adaptée à leur incarnation.

L’ultime message : “Horse to the Water” et la fin d’un parcours lumineux

En 2001, alors que la maladie a déjà nettement affaibli Harrison, il se rend en studio pour enregistrer « Horse to the Water » en compagnie de Jools Holland et de son orchestre rythmique. Malgré son état de santé, Harrison démontre qu’il n’a rien perdu de cette ironie douce et de ce goût pour les couleurs musicales variées. Sur ce dernier enregistrement publié de son vivant, on l’entend chanter, soutenu par son fils Dhani, perpétuant ainsi un flambeau familial et artistique. Peu après, le 29 novembre 2001, George Harrison décède d’un cancer du poumon à l’âge de 58 ans, laissant derrière lui une œuvre colossale.

Il est saisissant de constater que jusqu’au bout, Harrison aura tenu à s’exprimer en musique, parfois dans la discrétion, parfois via de grandes performances caritatives, toujours guidé par un idéal de partage. Son aura spirituelle, qu’il s’agisse de méditation, de bhajans indiens ou de simples prières, a imprégné l’ensemble de ses démarches créatives. Même sa façon d’offrir des chansons à d’autres artistes répond à un principe de générosité intellectuelle et artistique, comme s’il percevait la musique comme une entité universelle, plus forte que les égos individuels.

L’influence durable de George Harrison chez les nouveaux interprètes

Depuis la disparition de Harrison, nombreux sont les artistes qui se réclament de son héritage, non seulement pour ses qualités de guitariste slide, mais aussi pour son écriture mélodique à part. On retrouve chez certains groupes et interprètes contemporains des emprunts évidents à son style, qu’il s’agisse d’accords colorés d’harmoniques indiennes, d’arrangements subtils ou d’un discours intime teinté de spiritualité. Lorsqu’on scrute la postérité de Harrison, on voit que certaines de ses chansons “offertes” à d’autres ont fini par acquérir une seconde vie, sous forme de reprises ou d’hommages discrets.

« Sour Milk Sea », par exemple, demeure un morceau-culte pour les passionnés, à la fois amateurs de Jackie Lomax et de l’univers Beatles. De temps à autre, des formations indépendantes s’aventurent à rejouer ce titre dans un souci d’authenticité ou par simple respect pour la diversité du répertoire harrisonien. De même, « Badge » continue de figurer au panthéon du rock classique, joué sur scène par Clapton ou d’autres musiciens qui apprécient sa structure à la fois simple et raffinée. Quant à « Try Some, Buy Some », régulièrement saluée pour son originalité, elle a été remise en avant par David Bowie, preuve que l’œuvre de Harrison sait traverser les décennies et inspirer même des figures majeures de la pop et du rock contemporains.

Un regard renouvelé sur George Harrison, artisan de l’ombre

Avec le temps, l’image de George Harrison a considérablement évolué dans l’esprit du grand public. Loin de n’être que le “Beatle taciturne” qui se tenait derrière John et Paul, il est désormais perçu comme un pilier créatif dont l’influence se mesure à l’aune de chansons intemporelles telles que « While My Guitar Gently Weeps », « Something » ou « Here Comes the Sun ». A cette liste de classiques, on doit ajouter toute une ribambelle de titres disséminés dans la discographie de Ringo Starr, d’Eric Clapton, de Gary Moore ou d’autres artistes moins connus, mais tout aussi méritants. Lorsqu’il signait ces chansons, Harrison n’était pas dans une démarche narcissique, mais bel et bien dans un élan de fraternité musicale, un prolongement naturel de son idéal de compassion et de bienveillance.

Le grand public prend peu à peu conscience de cette générosité créative, notamment grâce à des rééditions et des publications d’inédits qui explorent les coulisses de la fabrique Beatles. Les maquettes de Harrison, longtemps restées confinées à des coffres ou à des archives privées, ont refait surface, permettant de constater l’ampleur réelle de son stock de compositions. Les historiens du rock, les journalistes et les amateurs passionnés (dont je fais partie, après plus de quarante ans à chroniquer la scène rock et à collaborer avec différents médias, y compris le plus grand site francophone dédié aux Beatles) ne manquent pas de souligner à quel point l’histoire de la pop aurait pu prendre un autre virage si Lennon et McCartney avaient valorisé plus tôt la contribution de Harrison.

L’attrait universel d’un artiste complet

L’histoire de George Harrison ne se résume pas à sa production musicale. Il est un guitariste fin, un compositeur subtil, un chanteur à la voix particulière, un producteur audacieux, un philanthrope convaincu et même un producteur de cinéma visionnaire. Nombreux sont ceux qui considèrent que, s’il avait montré autant d’enthousiasme à imposer ses idées au sein des Beatles qu’il l’a fait pour monter le Concert for Bangladesh ou pour soutenir le film Life of Brian, le groupe aurait peut-être su exploiter ce gisement créatif extraordinaire. Mais Harrison, dans sa nature même, demeure plus contemplatif et introverti, préférant souvent exprimer sa force intérieure dans ses textes et sa musique, plutôt que dans des bras de fer ego-centrés.

Son style de jeu à la guitare, souvent félin et délicat, est marqué par l’inspiration du rockabilly (Carl Perkins, Scotty Moore) et par la musique indienne, un alliage singulier qui donne à ses soli et à ses accompagnements un timbre immédiatement reconnaissable. Il apporte dans la pop-rock britannique des nuances que l’on n’y attendait pas. Cette marque de fabrique confère un supplément d’âme à nombre de ses compositions. C’est donc tout naturellement qu’on perçoit un écho mystique dans certains de ses morceaux, comme s’il avait toujours l’oreille tournée vers une autre dimension. Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui encore, lorsqu’un guitariste souhaite insuffler une touche légèrement rêveuse et orientale à un titre, on parle d’un “son à la George Harrison”.

Un horizon qui dépasse la simple chronologie

Au moment d’évoquer les chansons de Harrison écrites pour d’autres, on peut se livrer à un parcours chronologique : « Sour Milk Sea » pour Jackie Lomax en 1968, « Badge » pour Cream en 1969, « Try Some, Buy Some » pour Ronnie Spector en 1971, « Sunshine Life for Me (Sail Away Raymond) » pour Ringo Starr en 1973, « I Still Love You » pour Ringo en 1976, « Run So Far » pour Clapton en 1989, sans oublier « That Kind of Woman » pour Gary Moore en 1990. Mais cette approche date par date ne reflète qu’imparfaitement l’unité profonde qui sous-tend ces offrandes. C’est moins l’alignement de repères temporels qui compte que la cohérence d’un artiste pour qui la musique est un bien collectif.

Certes, on pourrait se demander si Harrison n’a pas parfois regretté d’avoir laissé filer certaines chansons, surtout au vu de leur succès ou de leur potentiel mal exploité. Pourtant, rien n’indique qu’il ait nourri de tels remords. Son attitude générale, renforcée par son cheminement spirituel, l’incitait plutôt à accueillir les évolutions de ses chansons comme faisant partie de leur destinée. Si un titre devait mieux s’épanouir chez Jackie Lomax ou chez Eric Clapton, il était normal qu’il y aille, libre de briller selon la sensibilité de son nouvel interprète.

Un héritage intemporel qui résonne encore

Aujourd’hui, plus de deux décennies après la disparition de George Harrison, sa musique n’a rien perdu de sa force émotionnelle. On redécouvre régulièrement son influence lorsque de jeunes musiciens citent son nom ou reprennent ses morceaux. Sur scène, « While My Guitar Gently Weeps » continue de susciter l’enthousiasme, tandis que « Something » demeure l’une des ballades les plus reprises de tout le répertoire Beatles. Dans le même temps, des passionnés de l’époque Apple Records réhabilitent l’œuvre de Jackie Lomax, rappelant à quel point « Sour Milk Sea » reste un exemple frappant de ce que Harrison pouvait offrir aux autres. Quant à Eric Clapton, il n’a jamais tari d’éloges sur la qualité du jeu et de l’écriture de celui qu’il surnommait souvent “mon frère George”.

Il n’est pas exagéré de dire que la mort de Harrison, en 2001, fut un choc pour tous ceux qui admiraient son parcours. Lui qui semblait avoir trouvé une paix intérieure solide a pourtant dû affronter la fatalité de la maladie, laissant le soin à sa famille, à ses amis et à des millions de fans de perpétuer son souvenir. Ses dernières déclarations publiques et son ultime performance vocale sur « Horse to the Water » montrent qu’il affrontait son sort avec courage et résignation, sans renoncer à transmettre ce qu’il avait à donner. Et ce qu’il avait à donner, c’était d’abord de la musique, celle-là même qu’il partageait avec d’autres dès qu’il en avait l’occasion.

Un élan créatif inaltérable

En fin de compte, l’histoire de George Harrison et des chansons qu’il a offertes à d’autres artistes illustre un principe fondamental : lorsqu’on crée de la musique, on ne la possède pas totalement, on la confie au monde. Harrison, par sa générosité, nous rappelle que l’art devient d’autant plus précieux qu’il circule et qu’il se renouvelle au contact de multiples interprètes. Ses plus belles réussites sont peut-être celles qui lui ont permis de trouver, au-delà du succès commercial, un sens véritable à son engagement. Lorsqu’il participe au Concert for Bangladesh, il ne s’agit pas d’un coup publicitaire, mais d’un acte d’entraide sincère. Lorsqu’il donne « Sour Milk Sea » à Jackie Lomax, c’est le désir de faire grandir un talent prometteur. Lorsqu’il écrit pour Ringo Starr, c’est la continuité d’une fraternité nouée au sein des Beatles. Lorsqu’il collabore avec Eric Clapton, c’est l’affection d’un ami de longue date. Et lorsqu’il chante aux côtés de son fils Dhani, c’est la transmission intergénérationnelle d’une passion dont la source semble intarissable.

De fait, pour quiconque s’intéresse à la musique rock et à l’héritage des Beatles, George Harrison reste un sujet inépuisable. Que l’on se penche sur ses innovations techniques, sur son introduction de la culture indienne dans la pop occidentale, sur son engagement spirituel ou sur sa générosité envers d’autres artistes, on découvre la trace d’un grand créateur. Ses chansons, tant celles qu’il a interprétées lui-même que celles qu’il a confiées à autrui, demeurent vivantes, sans doute parce qu’elles portent un souffle empreint d’authenticité et d’élévation. Il a su transformer sa position de “troisième homme” en tremplin pour une carrière singulière, riche de nuances, de joies, de peines et de triomphes intérieurs.

Vue sous cet angle, la figure de George Harrison nous apparaît sous son jour le plus accompli : celui d’un homme qui, malgré les éclats de la renommée, a su rester fidèle à son désir profond de découvrir la vérité, et de la chanter. Loin des artifices et des postures, sa trajectoire se prolonge à travers les disques qu’il a laissés, les souvenirs qu’il a imprimés dans les cœurs, mais aussi les chansons, trop souvent oubliées, qu’il a données à d’autres pour qu’elles s’épanouissent. En cela, George Harrison occupe une place à part dans le paysage du rock, celle d’un architecte discret, bâtissant des ponts entre le profane et le sacré, la modestie et la grandeur, l’Occident et l’Orient. Il demeure, sans aucun doute, l’une des voix les plus attachantes et les plus inspirantes jamais issues de l’âge d’or de la pop britannique.

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