L’histoire de la musique rock est marquée par des événements qui redéfinissent le rapport entre l’artiste et son public. Parmi ces moments historiques, les concerts de John Lennon à New York en août 1972 se dressent comme des jalons indélébiles. L’un des moments les plus significatifs de ces prestations fut sa version de Hound Dog, une chanson écrite par Jerry Leiber et Mike Stoller, devenue emblématique grâce à l’interprétation d’Elvis Presley. Mais la version de Lennon n’était pas simplement un hommage ; elle incarnait, à sa manière, la rencontre d’un rockeur avec ses racines et un clin d’œil à la légende du rock’n’roll. Ce morceau, bien plus qu’un simple cover, faisait partie intégrante de la performance de Lennon à la Madison Square Garden, un lieu mythique, lors des concerts One To One.
Sommaire
La genèse d’une légende : Hound Dog de Leiber et Stoller
Écrite en 1952 par Jerry Leiber et Mike Stoller, Hound Dog fut d’abord enregistrée par la chanteuse de blues Willie Mae “Big Mama” Thornton. Le morceau connut immédiatement un grand succès, mais c’est véritablement avec l’interprétation d’Elvis Presley, en 1956, qu’il devint un hymne du rock’n’roll. Son riff reconnaissable entre tous, son rythme effréné et son texte audacieux frappèrent l’imaginaire collectif. La chanson devint l’un des plus grands succès de Presley, propulsant l’artiste au rang d’icône internationale.
Les Beatles, bien qu’ils n’aient jamais enregistré une version officielle de Hound Dog, ont toujours eu un lien particulier avec la musique d’Elvis. Durant leur époque au Cavern Club de Liverpool, puis en tournée à Hambourg, les morceaux d’Elvis étaient des incontournables de leur répertoire. John Lennon, lui-même un admirateur inconditionnel de Presley, reprenait parfois certains de ses titres en live, sans que ces performances ne soient immortalisées en studio. À travers ce lien intime, la version de Hound Dog que Lennon propose en 1972 s’inscrit dans un héritage musical profond.
Le 30 août 1972 : Le retour sur scène de Lennon
Le 30 août 1972, dans le cadre des célèbres One To One concerts, John Lennon monte sur scène à la Madison Square Garden de New York, accompagné du Plastic Ono Elephant’s Memory Band. Ces concerts avaient pour but de récolter des fonds pour des enfants handicapés de la ville, mais ils marquèrent également le retour de Lennon sur scène après plusieurs années d’absence. Ce fut une occasion unique de redécouvrir l’artiste dans un contexte plus intime et social, un retour qui raviva l’étincelle créative du musicien.
Le concert fut divisé en deux sessions : une l’après-midi et une autre en soirée. Lors de la seconde performance, Lennon et son groupe offrirent au public une version effervescente de Hound Dog, l’un des moments phares de la soirée. La chanson fut l’avant-dernière du set, juste avant le célèbre Give Peace A Chance, un autre hymne de l’activisme pacifiste de Lennon.
La prestation de Hound Dog a clairement démontré que l’esprit du rock’n’roll ne quittait jamais l’artiste, bien que l’époque et les circonstances fussent bien différentes de celles des années 50. Mais plus que cela, elle témoigne du respect sincère que Lennon nourrissait pour la musique de Presley. Au cours du morceau, il n’hésita pas à crier : « Elvis, I love ya! », une phrase spontanée et émotive qui marquait à la fois une déclaration d’admiration et une appropriation de la chanson. Cette version, plus brute et énergique que la version originale de Presley, mettait en lumière une facette de Lennon plus libre, moins contrainte par les attentes commerciales ou la perfection technique.
Yoko Ono et la production du Live in New York City
L’album Live in New York City, qui présente cette performance de Hound Dog, a été publié en 1986, bien des années après la tournée. Produit par Yoko Ono, l’album reflète son engagement à maintenir la mémoire de John Lennon vivante tout en soutenant sa vision artistique unique. L’album, qui inclut également des titres comme Mother et Imagine, montre un Lennon plus cru, plus authentique, dans un contexte où il semblait avoir trouvé une nouvelle forme de liberté musicale.
Cependant, bien que la performance soit remplie d’énergie et de passion, il est intéressant de noter que, sur l’album, Yoko Ono a pris la décision de supprimer ses propres voix des enregistrements. Elle a, en effet, joué un rôle essentiel dans la production de cet album, mais elle n’apparaît pas vocalement sur Hound Dog. Ce choix de la part de Yoko semble être un geste réfléchi, visant à mettre en avant la voix de John, celui qui était la véritable star de ce spectacle. Cependant, dans la version vidéo du concert, ses vocalises sont audibles, apportant une dimension différente à la performance.
Une performance pleine d’énergie et de rock’n’roll
Ce qui distingue la version de Hound Dog de Lennon, c’est sans doute la sincérité et l’énergie brute qu’il insuffle dans sa prestation. Au-delà de la simple reprise, il donne une nouvelle dimension au morceau, en y injectant sa propre histoire et son propre amour pour le rock’n’roll. La voix de Lennon, au sommet de son expressivité, nous rappelle à quel point cet homme, souvent perçu comme un intellectuel de la musique, était aussi un pur produit du rock, capable de déployer toute la force de cette musique populaire.
Mais ce n’est pas uniquement la prestation vocale de Lennon qui impressionne dans ce morceau. Le groupe, le Plastic Ono Elephant’s Memory Band, soutient magnifiquement cette énergie. Wayne ‘Tex’ Gabriel à la guitare lead, Gary Van Scyoc à la basse et Stan Bronstein au saxophone, apportent tous une contribution essentielle à la puissance du morceau. Les deux batteurs, Jim Keltner et Richard Frank Jr., offrent une rythmique solide et dynamique qui maintient le tempo effréné du morceau.
L’ensemble de l’orchestre parvient à capturer l’esprit du rock des années 50 tout en le faisant évoluer dans un contexte plus moderne, celui des années 70. La chanson ne sonne pas comme un simple hommage ; elle devient une réinterprétation personnelle et vibrante du genre, en résonance avec l’état d’esprit de Lennon à cette époque : un artiste engagé, libre de ses choix et fier de ses influences musicales.
Une version alternative dans l’album Some Time in New York City
Il est également important de noter qu’une autre version de Hound Dog a été enregistrée un peu plus tôt dans l’année 1972, lors des sessions de l’album Some Time in New York City. Lors de ces sessions, Lennon et le Plastic Ono Elephant’s Memory Band se sont adonnés à des jam sessions tard dans la nuit et tôt le matin. Parmi les reprises, en plus de Hound Dog, on retrouvait également d’autres classiques des années 50, comme Don’t Be Cruel d’Elvis Presley et Roll Over Beethoven de Chuck Berry. Ces moments de musique improvisée témoignent de l’amour que Lennon portait à cette époque du rock, mais aussi de sa volonté de réinterpréter et de faire vivre cette musique à sa manière.
Hound Dog et l’héritage de Lennon
La version de Hound Dog enregistrée lors des concerts One To One a traversé les décennies, se hissant au rang des prestations les plus mémorables de John Lennon. Plus qu’une simple reprise, elle s’affirme comme un hommage vibrant à Elvis Presley, tout en restant fidèle à l’esprit rebelle et libre qui a toujours caractérisé Lennon. À travers ce morceau, Lennon se rapproche de ses racines tout en célébrant le pouvoir cathartique du rock’n’roll.
Pour les fans de Lennon, cette interprétation reste un témoignage précieux de son amour pour la musique populaire et de sa capacité à s’approprier des classiques. Elle incarne également la magie de ces concerts de 1972, un moment où l’artiste, réconcilié avec sa place dans le monde de la musique, fit résonner son propre univers tout en rendant hommage à celui des pionniers du rock. Dans ce morceau, l’âme de John Lennon s’exprime pleinement, et à travers ses cris et son énergie, il nous rappelle que l’esprit du rock’n’roll ne meurt jamais.