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Michelle / Monkberry : McCartney sous influence vaudou

Paul McCartney révèle deux visages de son génie dans "Michelle" et "Monkberry Moon Delight", deux chansons nées à six ans d’intervalle et inspirées par I Put a Spell On You. L’une charme, l’autre déchaîne.

L’une est une ballade en français stylisé, douce comme une brume parisienne sur un matin d’automne. L’autre, une cavalcade sonore rugissante, surgie d’un imaginaire enfantin devenu baroque. Entre Michelle et Monkberry Moon Delight, il y a six années, deux Beatles en moins, et un monde de différence. Pourtant, ces deux morceaux sont issus du même esprit : celui de Paul McCartney, envoûté deux fois par une même chanson fétiche, I Put a Spell On You. Leur étude conjointe révèle les deux pôles créateurs de McCartney — le mélodiste raffiné et le cabotin surréaliste.

Genèse des deux chansons : Deux époques, deux McCartney

1965 – « Michelle » ou l’élégance pastiche du Swinging London

En 1965, les Beatles sont au sommet de leur ascension. Ils viennent de sortir Rubber Soul, l’un de leurs albums les plus acclamés. Paul McCartney, alors âgé de 23 ans, propose un fragment de chanson conçu à l’origine comme une blague estudiantine : une mélodie à la française, fredonnée dans un faux accent. Ce sera Michelle.

Mais Lennon, séduit par la ligne mélodique, l’encourage à la développer. Inspiré par Nina Simone et sa version tendre de I Put a Spell On You, McCartney transforme le gag en une chanson d’amour élégante, enrichie par des paroles bilingues. L’intervention de Jan Vaughan, enseignante de français et amie du couple McCartney-Asher, scelle la dimension franco-anglaise du morceau.

1971 – « Monkberry Moon Delight » ou la récréation psychédélique

En 1971, les Beatles n’existent plus. McCartney est isolé, critiqué pour son premier album solo jugé inabouti. Avec Linda, il s’attelle à un nouveau projet : Ram, disque hybride, pastoral, presque dadaïste. Dans ce chaos assumé naît Monkberry Moon Delight, morceau exubérant, hurlé, déconstruit.

Cette fois, c’est la version originale et délirante de Screamin’ Jay Hawkins qui irrigue l’inspiration de McCartney. À travers elle, il retrouve le plaisir du jeu vocal, du grotesque maîtrisé. Il veut une chanson « sans sérieux », un moment de théâtre sonore. Il accouche d’une fantaisie surréaliste, pleine de jeux de mots absurdes et de hurlements semi-comiques.

Structure musicale : Deux architectures pour un seul auteur

« Michelle » – Le classicisme de la forme chanson

La construction de Michelle est limpide :

  • Intro guitare fingerpicking (mineure, modalité nostalgique)

  • Couplet (en anglais)
    ➤ Rimes simples, progression harmonique douce (Fm–Eb–Ab–Cm)

  • Refrain (en français)
    ➤ « Michelle, ma belle… » : refrain mémorable, voix posée, soutenue par une basse mélodique.

  • Pont instrumental

  • Reprise du couplet puis du refrain

L’équilibre entre la guitare acoustique et les interventions de basse et d’harmonie vocale donne au morceau un habillage quasi-classique, inspiré de la chanson française (on pense à Brassens ou Brel, via une prisme très britannique).

McCartney utilise ici une palette restreinte mais efficace : mode mineur pour suggérer la mélancolie, et des enchaînements de quinte descendante qui renforcent le sentiment de douceur désabusée.

« Monkberry Moon Delight » – Le théâtre sonore éclaté

La structure de Monkberry Moon Delight est chaotique, volontairement :

  • Intro piano/basse en mineur (C#), répétée comme une incantation

  • Premier couplet / cri
    ➤ McCartney hurle des syllabes presque incompréhensibles, comme possédé

  • Refrain non standardisé

  • Pont / interruption vocale

  • Reprise ad libitum

L’ensemble repose sur une structure modulaire, très libre, presque improvisée. La progression harmonique est volontairement excentrique : de C# mineur à G#, en passant par des accords suspendus et des changements de tempo. La voix, saturée de reverb, alterne entre growl, falsetto, et glissando.

C’est une architecture anti-classique, fondée sur l’énergie plus que sur la logique. McCartney joue avec les contrastes, les silences, les explosions sonores — comme le ferait un metteur en scène de théâtre musical avant-gardiste.

Langue et paroles : entre poésie élégiaque et délire absurde

« Michelle » – La langue comme vecteur d’amour impossible

Ici, McCartney utilise la langue française comme code du désir inaccessible. Le fait de dire « ma belle » ou « sont des mots qui vont très bien ensemble » évoque la barrière linguistique — mais aussi le romantisme naïf du regard britannique sur Paris.

Le texte est construit avec un soin extrême. Il joue sur la simplicité lexicale, mais une grande richesse mélodique. Le français est utilisé avec pudeur, sans caricature excessive. On sent une admiration réelle pour le style et l’élégance de cette langue.

Le lexique de Michelle tourne autour du regret, du manque, et d’une forme de courtoisie sentimentale. Tout est dans la suggestion. C’est un amour idéalisé, intellectuel, presque platonique.

« Monkberry Moon Delight » – L’absurde en roue libre

À l’inverse, Monkberry Moon Delight refuse toute logique textuelle :

« So I sat in the attic, a piano up my nose / And the wind played a dreadful cantata… »

On y trouve des images surréalistes, des non-sens poétiques, des néologismes. Le « Monkberry Moon Delight » est une boisson fictive, sans recette définie, peut-être une métaphore de la folie douce de l’enfance, ou simplement une invention sonore.

C’est un texte jouissif d’incohérence, qui rappelle Lewis Carroll, Edward Lear ou Ionesco. La voix se fait instrument, le mot devient son, le sens devient texture.

Interprétation vocale : la voix comme théâtre

« Michelle » – Intimisme et précision

McCartney livre ici l’une de ses interprétations les plus contenues et nuancées. Le timbre est feutré, le phrasé fluide, le souffle maîtrisé. Il joue de la retenue comme un crooner — mais sans caricature.

L’articulation du français est soignée. McCartney ne cherche pas à singer un accent parfait, mais à suggérer une émotion à travers le filtre d’une langue apprise. Cela renforce l’intimité du propos.

« Monkberry Moon Delight » – Furie et théâtralité

À l’inverse, la voix dans Monkberry Moon Delight est déchaînée. McCartney pousse des cris rauques, joue des glissements d’octave, des trémolos grotesques. Il incarne plusieurs personnages à la fois.

Il ne chante plus : il joue la chanson comme un comédien. Ce n’est pas une performance vocale au sens académique, mais une démonstration de puissance expressive. Rarement sa voix aura été aussi libre, aussi débridée.

Esthétique et production : deux visages d’un même artisan

« Michelle » – Le raffinement mono de George Martin

Produit par George Martin, Michelle bénéficie d’un traitement classique : prise unique, mix mono, équilibre entre voix et guitare. La production est transparente, au service de la chanson.

Les arrangements (guitare basse, percussions légères, harmonies vocales) sont épurés mais riches. Tout est dans le détail — comme un bijou de joaillier.

« Monkberry Moon Delight » – L’atelier sonore de McCartney

Produit par Paul lui-même avec Linda, Monkberry est un atelier de l’outrance. Les niveaux sonores sont volontairement inégaux, la batterie est saturée, les voix se superposent. On entend des bruits de gorge, des respirations.

C’est une production artisanale, instinctive, qui cherche l’impact plus que l’harmonie. Loin des studios d’Abbey Road, McCartney bricole, teste, déforme. Le studio devient terrain de jeu surréaliste.

Un seul magicien, deux alchimies

Michelle et Monkberry Moon Delight sont deux œuvres antithétiques — et pourtant, elles sortent du même chaudron. Elles démontrent la plasticité du talent de McCartney, capable d’enrober un murmure de soie ou de lâcher une tornade sonore. Elles prouvent aussi la durée de son imaginaire musical, nourri par les mêmes racines — en l’occurrence, I Put a Spell On You — et transformé par le temps, l’humeur, le contexte.

Entre 1965 et 1971, McCartney n’a pas changé de muse. Il a simplement changé de masque. Et c’est en cela qu’il reste l’un des artistes les plus insaisissables — et les plus féconds — du XXe siècle.

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