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Lennon à la Cité de la Musique

Après Jimi Hendrix, en 2002, et Pink Floyd, en 2003-2004, John Lennon. La troisième exposition de la Cité de la musique, à Paris, consacrée à des figures centrales de la culture rock, dure jusqu’au 25 juin 2006 avec, cette fois, un sujet autrement polémique.
On célèbre le vingt-cinquième anniversaire de la mort du musicien-activiste ; il a été assassiné devant son domicile new-yorkais le 8 décembre 1980. Mais aussi le soixante-cinquième anniversaire de sa naissance (le 9 octobre 1940 à Liverpool). Les murs de Paris sont recouverts de l’affiche de l’exposition, le portrait du Beatle sérigraphié en 1986 par Andy Warhol, autre New-Yorkais célèbre. Un double CD avec l’essentiel de son oeuvre solo, dans le plus complet désordre, vient d’être publié par Parlophone. Tandis que son héritage sera évoqué avec des concerts, notamment de Sonic Youth.
L’exposition “John Lennon Unfinished Music” (musique inachevée) adopte un bizarre titre en anglais. Qui fait référence à l’album de son duo conceptuel avec Yoko Ono, paru en 1968 (conversations téléphoniques, bruits). Formellement, l’exposition de la Cité de la musique est séduisante. Si elle ne lève pas le scepticisme quant à l’intérêt à “exposer” des travaux de musiciens (que montrer en dehors d’instruments, de manuscrits et de vêtements ?), le parcours, très pédagogique, permettra aux jeunes de ressentir l’importance culturelle du musicien tout en révisant l’histoire de l’après-guerre avant de passer leur bac. Les moins jeunes se laisseront gagner par une douce mélancolie (ou une profonde déprime) au rappel de ce destin exceptionnel.
Car John Lennon a parfaitement épousé les “trente glorieuses” : il naît pendant les bombardements de la bataille d’Angleterre, grandit pendant la reconstruction, s’affirme avec l’avènement de la société de consommation. Et quand il meurt, les utopies des années 1960-1970 s’envolent avec lui.
“Le jour où ils me mettront dans un musée, ce sera fini”, avait déclaré Lennon. Voici le rebelle canonisé grâce à l’arsenal de la “memorabilia”, ce marché fort lucratif des effets personnels des vedettes : ses guitares Rickenbacker, son piano droit Steinway, son costume sans col de Beatle et celui de fanfariste pour l’album Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band (1967). Il y a son extrait de naissance et ses bulletins scolaires (“mauvais résultats dus au fait qu’il passe la plupart de son temps à inventer des remarques spirituelles”, notait un professeur perspicace). On découvre aussi ses dessins d’enfant et ceux, plus tardifs, de l’ancien étudiant en art, qui furent saisis pour “pornographie”. Ce sont d’aimables croquis érotiques au regard de ce qu’inventent les publicitaires.
VIEILLES ET SOURDES QUERELLES
Pour la musique, des bornes d’écoute permettent de (re) découvrir ses fulgurances pop et psychédéliques comme ses complaisances arty . Celui qui fut l’une des plus charismatiques stars du rock n’hésita pas à se suicider commercialement afin de ne pas se répéter.
Lennon for ever, donc. A ceci près que l’exposition ­ – ses carences et ses insistances ­ – ranime de vieilles et sourdes querelles. On imagine le casse-tête pour les commissaires (Emma Lavigne et Grazia Quaroni, assistées d’Alice Martin). Car la mémoire de John Lennon est étroitement supervisée par celle qu’il surnommait affectueusement “mère supérieure”, sa troisième femme, Yoko Ono.
La mémoire des Beatles, elle, est le monopole de la société Apple, où Paul McCartney, l’ex-bassiste et chanteur du groupe, a une voix prépondérante. A chacun son job : Yoko veille jalousement sur son John, Paul fait vivre sur les routes le répertoire des Beatles en récrivant parfois l’histoire à son avantage. Trente-cinq ans après la séparation du groupe, l’artiste japonaise et le bassiste gaucher se méprisent toujours et ne tombent jamais d’accord. Sauf quand les enjeux financiers l’exigent : ce fut le cas de l’opération “Anthology”, à partir de 1995, une exhumation des reliques du quatuor à travers des CD, des films, un livre.
Pour cette exposition, McCartney aurait refusé de prêter du matériel appartenant à Apple. En représailles, sa présence dans l’exposition prend une dimension ectoplasmique ­ après tout, Yoko Ono a dit de lui qu’il était “à Lennon ce que Salieri est à Mozart”. Aucune évocation de la rencontre entre les deux musiciens en 1957, pas un mot sur leur longue et tempétueuse amitié, rien sur le partenariat musical qui a laissé un des plus beaux catalogues de chansons de l’après-guerre.
De nombreux films des Beatles étaient programmés à côté de l’exposition. Ils ont été retirés. Etait notamment prévu Let it Be, de Michael Lindsay-Hogg (1970), document indispensable à la compréhension de la séparation des Beatles (épisode pénible dont il n’est soufflé mot) et que l’on n’a pas vu en salle depuis la fin des années 1970. Restent les films expérimentaux du couple “Lennono”, des ersatz terriblement datés des expériences extrêmes d’Andy Warhol ou de Jonas Mekas.
Ces mesquineries aboutissent à une grossièreté scénographique : les Beatles sont relégués au sous-sol, pratiquement dans les ténèbres. Ensuite, on grimpe quelques marches pour tomber nez à nez sur Ceiling Painting, l’installation de Yoko Ono, qui est connue comme artiste : une échelle et une loupe pour lire le mot “Yes” inscrit sur une toile suspendue, qui scella sa rencontre avec John Lennon.
Cette oeuvre constitue “la” rupture chronologique de l’exposition. Dès lors, la moquette est blanche, les murs sont blancs, tout est blanc. John Lennon est passé de l’ombre à la lumière. Il n’est plus un sauvage immature, un hooligan de Liverpool, il devient adulte. Il se métamorphose en humaniste éclairé qui “pense global”.
“LOST WEEK-END”
Symboliquement, la chronologie de l’exposition débute par la date de naissance de Yoko Ono (18 février 1933). A l’étage, les amants sont logiquement à parité. On apprend non seulement que l’artiste nipponne fut une éminence du mouvement Fluxus, mais aussi que sa place dans l’histoire de la musique contemporaine est comparable à celle de John Cage et de La Monte Young.
Le profane ignorera qu’avant elle Lennon eut une épouse prénommée Cynthia (et abandonnée sur un quai de gare). Elle vient d’ailleurs de publier ses souvenirs (John, éd. Hodder and Stoughton), où elle décrit le militant pacifiste comme un être violent, y compris conjugalement. Quant à l’épisode du “lost week-end”, cette escapade alcoolisée à Los Angeles en 1974-1975 où Lennon régresse infantilement, il est ramené à un épiphénomène. Il est vrai qu’il aura seulement duré dix-huit mois. La compagne de l’époque, la Coréenne May Pang (“jetée” par le musicien quand Yoko sifflera la fin de la récréation), n’est pas plus mentionnée.
L’exposition “Unfinished Music” est l’évangile de saint John selon Yoko Ono, ce qui ne manquera pas d’irriter ses nombreux ennemis. A moins que la haine irrationnelle et souvent non dénuée de misogynie, sinon de relents racistes, pour la plasticienne japonaise ne se soit estompée.
La parution en France d’une énième biographie, John Lennon, par Bruno Blum, va dans ce sens. Après avoir décrit Yoko Ono comme “craintive, timide, plutôt moche” et “branchée sexe”, l’auteur se rattrape in extremis : “Il ne fait pas de doute que Yoko a beaucoup contribué à ouvrir l’esprit de son mari, à éduquer cet homme simple, névrosé et fondamentalement petit-bourgeois. Son rôle d’égérie lui assure une place non négligeable dans l’histoire.”
Cette édifiante conclusion rejoint la démonstration faite à la Cité de la musique. La pièce la plus impressionnante de la partie consacrée aux Beatles est une vitrine emplie de bibelots (fanions, montres et même une petite culotte) au temps de la beatlemania. Façon de signifier que le commerce est au sous-sol et l’art au-dessus.

Source : LE MONDE

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