En 1966, John Lennon découvre l’œuvre « Yes » de Yoko Ono, un moment clé qui marque le début de leur relation artistique. Peu après, il explore le cinéma en jouant dans How I Won the War, mais c’est en tant que mécène qu’il influencera le 7ᵉ art. Fasciné par El Topo d’Alejandro Jodorowsky, il finance ses projets, laissant une empreinte durable sur le cinéma d’avant-garde. En parallèle, Revolver des Beatles divise les critiques, notamment Ray Davies des Kinks, qui juge l’album trop expérimental. Une vision contrastée sur une œuvre devenue culte.
En 1966, une simple œuvre d’art allait bouleverser la vie de John Lennon et modifier durablement sa perception du monde. Dans une galerie londonienne, Yoko Ono exposait une installation intitulée « Yes ». Au sommet d’une échelle, une loupe était suspendue, permettant aux visiteurs de déchiffrer un mot écrit en lettres minuscules sur le plafond : « Yes ». Cette découverte produisit un véritable choc chez Lennon, qui déclara plus tard : « C’était positif. J’ai ressenti un soulagement. C’est un grand soulagement quand vous montez l’échelle, regardez à travers la loupe et que ce n’est pas un ‘non’ ou un ‘va te faire foutre’, mais un simple ‘oui’. »
Cette première rencontre entre Lennon et Ono allait déclencher une fusion artistique unique, une alliance où se croiseraient expérimentations musicales et avant-garde artistique.
Sommaire
John Lennon et son attrait pour le cinéma
Peu après cette rencontre, Lennon allait se lancer dans un domaine qui l’attirait depuis longtemps : le cinéma. En novembre 1966, alors que les Beatles prenaient une pause bien méritée, Lennon ne parvenait pas à se résoudre à l’oisiveté. Il choisit donc d’accepter un rôle dans un film tourné en Espagne, How I Won the War, de Richard Lester. Cette expérience cinématographique le marqua profondément et renforça son désir de diversifier ses explorations artistiques. « J’attendais toujours une raison de quitter les Beatles dès le jour où j’ai tourné How I Won the War », confia-t-il plus tard.
Malgré son charisme naturel et sa présence scénique indéniable, Lennon ne se révéla pas être un acteur accompli. Ses talents étaient ailleurs. Néanmoins, son amour du septième art allait s’exprimer d’une autre manière, non plus en tant qu’interprète, mais en tant que mécène d’une vision cinématographique radicale.
La rencontre avec El Topo et Alejandro Jodorowsky
Au début des années 1970, Lennon et Ono cherchaient des films qui repoussaient les frontières de la narration classique et rejoignaient leurs propres quêtes spirituelles et artistiques. C’est ainsi qu’ils découvrirent El Topo, un film du réalisateur chilien-français Alejandro Jodorowsky. Ce western mystique et surréaliste, souvent qualifié de « trip sous LSD sans LSD », les captiva immédiatement.
Lennon et Ono visionnèrent le film de manière obsessionnelle, fascinés par son symbolisme mystique, sa construction déstructurée et sa volonté de dépasser les normes esthétiques traditionnelles. Il ne fallut pas longtemps avant que le couple décide de soutenir cette vision cinématographique unique. Convaincu que El Topo devait être diffusé à plus grande échelle, Lennon ordonna à son manager d’investir un million de dollars dans les futurs projets de Jodorowsky.
Une influence durable sur le cinéma et la contre-culture
Ce geste permit à Jodorowsky de poursuivre sa carrière et d’inscrire son œuvre dans la postérité. Il réalisa six autres longs-métrages et un documentaire, devenant une référence incontournable du cinéma d’avant-garde. Son influence se fit sentir bien au-delà du cercle des initiés, inspirant aussi bien des artistes que des musiciens, de Bob Dylan à Roger Waters.
L’admiration de Lennon pour El Topo et son soutien à Jodorowsky révèlent un trait fondamental de sa personnalité : son désir constant de briser les conventions et d’explorer des territoires artistiques inexplorés. S’il n’a jamais poursuivi une carrière d’acteur, son impact sur le cinéma, à travers son regard visionnaire et son mécénat audacieux, demeure un chapitre fascinant de son héritage artistique.
L’héritage d’un artiste sans frontières
Le parcours cinématographique de John Lennon n’est qu’une facette de son incroyable volonté d’expérimentation. De la musique aux arts visuels, en passant par le militantisme et le cinéma, il n’a jamais cessé de repousser les limites de la création.
Son enthousiasme pour El Topo et son soutien à Jodorowsky sont les preuves tangibles de cette ouverture d’esprit et de ce goût pour l’audace. Comme le résumait si bien Yoko Ono, Alejandro Jodorowsky était un « génie rare ». Mais Lennon lui-même était un rare génie, capable de reconnaître et de promouvoir les esprits les plus novateurs de son temps.
Ray Davies et « Revolver » : une incompréhension historique ou un jugement sincère ?
Lorsqu’un album est considéré comme une pierre angulaire de l’histoire du rock, il est presque impensable d’imaginer qu’il puisse recevoir des critiques acerbes de la part de ses pairs. Pourtant, c’est exactement ce qui s’est produit avec Revolver, le disque que les Beatles ont sorti en 1966 et qui a redéfini les contours de la musique populaire. Parmi ses détracteurs, un nom surprend : Ray Davies, le charismatique leader des Kinks, groupe emblématique du « British Invasion ». Son avis tranché sur cet album, qu’il qualifie de « rubbish » (ordures), a de quoi interpeller. S’agissait-il d’une provocation, d’une réaction à chaud ou d’une vision lucide sur un disque qui divise encore aujourd’hui ?
L’empreinte révolutionnaire de
Revolver
Si l’on replace Revolver dans son contexte, il est difficile d’ignorer son caractère avant-gardiste. Les Beatles, déjà propulsés au rang de phénomène mondial, se trouvent à un tournant. Après le succès de Rubber Soul, qui marque une première étape dans leur mutation artistique, ils décident d’aller encore plus loin. Avec Revolver, le groupe s’affranchit des codes traditionnels du rock et du pop de l’époque pour explorer de nouveaux territoires sonores.
La production de George Martin joue un rôle décisif dans cette métamorphose. L’album se distingue par l’utilisation innovante du studio comme véritable instrument : réverbérations étranges, enregistrements inversés, effets de boucle, overdubs audacieux. L’exemple le plus frappant reste « Tomorrow Never Knows », morceau psychédélique où la voix de John Lennon est traitée à travers un haut-parleur Leslie, donnant cette impression d’incantation mystique. Pour beaucoup, cette chanson est une révolution. Pour Ray Davies, c’est un non-sens.
Ray Davies : une critique au vitriol
Dans une critique publiée en 1966 dans Disc and Music Echo Magazine, Ray Davies ne cache pas son mépris pour cet album. D’après lui, « Eleanor Rigby » ne serait qu’une « chanson destinée à plaire aux professeurs de musique en école primaire », tandis que « Yellow Submarine » est qualifiée de « rubbish ». Même « Taxman », pourtant l’un des premiers titres engagés de George Harrison, lui semble « limité ». Seule exception à ses yeux : « I’m Only Sleeping », qu’il juge « beaucoup plus jolie que Eleanor Rigby, une belle chanson, joyeuse et légère ».
Cette critique tranche avec l’accueil élogieux reçu par l’album, y compris de la part de musiciens reconnus. Brian Wilson des Beach Boys s’émerveille devant « les meilleures compositions de Paul », tandis que le compositeur italien Ludovico Einaudi voit en Revolver un modèle absolu de pop music, à la fois classique et révolutionnaire.
Jalousie ou simple différence de sensibilité ?
Pourquoi une telle sévérité de la part de Davies ? Certains y verront une pointe de jalousie. The Kinks, bien qu’adorés par la critique, n’ont jamais atteint le niveau de popularité des Beatles. Pourtant, Ray Davies ne semble pas animé par l’envie de les descendre en flammes gratuitement. Il admire leur organisation, leur capacité à gérer leur carrière avec une rigueur quasi-militaire, bien loin du chaos qui régnait au sein des Kinks.
En réalité, la critique de Davies révèle surtout une opposition artistique. Alors que les Beatles plongent dans l’expérimental, Davies reste attaché à une vision plus traditionnelle du rock, à une écriture plus narrative et sociale. Lui qui a signé des chefs-d’œuvre comme Waterloo Sunset ou Sunny Afternoon conçoit la musique comme un art du quotidien, ancré dans le réel, là où les Beatles partent explorer des horizons parfois abstraits.
Un verdict remis en question par l’histoire
Près de soixante ans après sa sortie, Revolver demeure un sommet de l’histoire du rock, reconnu comme un tournant décisif dans l’évolution du son des années 60. Des titres comme « Here, There and Everywhere » ou « She Said She Said » continuent d’inspirer des artistes du monde entier. Les expérimentations sonores initiées par cet album se retrouvent dans des genres aussi variés que l’électro, le rock progressif ou même le hip-hop.
Ray Davies avait-il tort ? Il serait trop simple de le dire. Son regard, bien que critique, rappelle que chaque révolution musicale ne fait pas l’unanimité. Revolver était une prise de risque. Pour la majorité des auditeurs, elle fut payante. Pour Davies, elle était une fausse route. Mais c’est aussi cette capacité à susciter le débat qui fait la richesse de l’histoire du rock.