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George Harrison en 1974 : la tournée qui l’a presque brisé

En 1974, George Harrison s’engage dans une tournée nord-américaine éprouvante, marquée par une voix brisée, des critiques sévères et une crise intérieure profonde. Ce périple douloureux révèle les failles mais aussi la résilience d’un homme en quête de vérité au-delà de la gloire des Beatles.

L’image que l’on retient le plus souvent de George Harrison est celle d’un homme apaisé, discret, presque stoïque — le « Beatle spirituel », tourné vers la méditation, la non-violence, l’essentiel. Pourtant, derrière cette façade de sérénité, se cache un épisode de sa vie où tout vacilla. En 1974, quelques années après la dissolution des Beatles, Harrison s’engage dans une tournée nord-américaine de grande envergure, qui s’avérera être une épreuve physique, artistique et mentale, jusqu’à l’amener aux portes de l’effondrement.

Cet épisode, souvent négligé dans les récits traditionnels consacrés à l’ancien guitariste des Beatles, mérite d’être raconté avec rigueur. Car il dit beaucoup non seulement de l’homme, mais aussi de l’époque, des attentes du public, et des limites — douloureuses — de ce que peut encaisser une légende.

Une volonté de bien faire… et de faire du bien

En 1971, George Harrison surprend le monde avec le Concert for Bangladesh, organisé au Madison Square Garden avec la complicité de Ravi Shankar. Il devient le premier musicien de rock à mettre sa notoriété au service d’une cause humanitaire, posant ainsi les bases de ce que deviendront plus tard Live Aid ou Amnesty International sur scène.

Ce concert, d’une rare intensité, est un succès critique et moral. Harrison prend goût à cette forme d’engagement artistique, où la musique dépasse le divertissement pour toucher à l’éveil des consciences. Ce succès l’encourage à envisager la scène non plus comme un simple lieu d’exécution musicale, mais comme un espace d’élévation collective.

Mais une telle ambition a un coût. Et lorsqu’il décide de repartir sur les routes en 1974 pour défendre son album Dark Horse, rien ne se passe comme prévu.

Dark Horse : une œuvre marquée par la rupture

L’album Dark Horse, publié en décembre 1974, est le reflet d’une période chaotique. Sur le plan personnel, son mariage avec Pattie Boyd vole en éclats, alors que cette dernière entame une relation avec Eric Clapton — son ami proche. George, humilié mais désireux de maintenir une forme de dignité intérieure, plonge dans une activité frénétique, presque compulsive.

Mais il est épuisé, physiquement et vocalement. Lors des sessions d’enregistrement, il souffre d’une laryngite sévère. Sa voix, rauque, cassée, devient méconnaissable. Et pourtant, il persiste. Il enregistre, produit, organise sa tournée. À contretemps. À contrecœur.

Le disque est bancal, inégal. Quelques pépites subsistent (Far East Man, So Sad), mais l’ensemble reflète une fatigue générale, une perte de contrôle. Pourtant, George s’entête. Il faut partir en tournée. Il veut renouer avec le public américain, montrer qu’il est plus qu’un ex-Beatle.

Une tournée ambitieuse… mais désastreuse

Intitulée George Harrison & Friends North American Tour, la tournée démarre en novembre 1974 et s’étale sur 45 dates en six semaines, à travers les États-Unis et le Canada. George s’entoure de musiciens talentueux — dont Billy Preston, Tom Scott, Willie Weeks, Jim Keltner — et invite Ravi Shankar à ouvrir chaque concert avec un set de musique classique indienne.

Mais très vite, la réalité rattrape le rêve. La voix de Harrison, toujours affectée par la maladie, ne tient pas. Il peine à chanter. Certains soirs, il confie les parties vocales à Billy Preston. D’autres soirs, il transforme ses classiques en versions méconnaissables, au grand dam des fans.

« That was the nearest I got to a nervous breakdown, » dira-t-il plus tard.
« Je ne pouvais même pas rentrer chez moi. J’étais à bout. »

Le public, venu pour entendre les standards des Beatles, est déstabilisé. Harrison, dans une volonté de rupture, modifie les paroles de Something en direct, ou refuse de jouer Here Comes the Sun. Certains spectateurs le huent. La presse est sévère. Le Los Angeles Times parle d’un « Beatle au bord du gouffre ».

Le prix de l’ego… ou de la liberté ?

Pour Harrison, cette tournée n’est pas une tentative de revivre la Beatlemania. C’est, au contraire, une tentative désespérée d’exister autrement, dans une ère post-Beatles où chacun doit redéfinir son identité. Mais le public, lui, ne veut pas oublier. Il exige. Il exige Yesterday, While My Guitar Gently Weeps, Something — dans leurs versions d’origine.

George, déjà mal à l’aise avec la notion de célébrité, vit cette dissonance comme une violence. Lui qui prône le dépouillement intérieur, la foi hindoue, la modestie, se retrouve face à des foules nostalgiques, exigeantes, parfois cruelles.

« C’était moi contre une illusion collective, » confiera-t-il.
« Ils ne voulaient pas de moi. Ils voulaient un hologramme du passé. »

Cette tension intérieure, entre son besoin de sincérité et les attentes du public, mine profondément sa santé mentale. Il sombre dans une forme de paranoïa légère, se réfugie dans l’alcool, les calmants.

Extra Texture : la chronique d’un épuisement

À son retour, Harrison enregistre Extra Texture (Read All About It), publié en 1975. Le disque, souvent considéré comme l’un des plus faibles de sa carrière, est en réalité un document essentiel de son mal-être.

Dans Tired of Midnight Blue, il chante :
« I’m just tired of all these midnight blues / I’ve had enough of this old hotel room. »

Le son est lourd, les chansons sombres. Seule You apporte une lueur pop, un éclat d’énergie. Pour le reste, c’est une confession à demi voilée d’un homme brisé par une tournée qu’il n’aurait jamais dû faire.

L’étrange résilience de Harrison

Et pourtant, contre toute attente, George Harrison renaît. En 1976, avec l’album Thirty Three & 1/3, il retrouve sa voix, son humour, sa légèreté. Le disque est élégant, fluide, porté par des arrangements maîtrisés et un sens de la mélodie enfin retrouvé. La tournée de 1974 est derrière lui. Il en tire des leçons. Il ne repartira plus jamais sur la route de cette manière.

Il continue à faire de la musique, mais à son rythme, sans pression. Il se consacre à sa maison d’Henley-on-Thames, à la culture biologique, au jardinage, à la production de films via HandMade Films. Il sort de l’enfer — et choisit la paix.

Ce que cette tournée révèle de George Harrison

Au fond, la tournée de 1974 fut pour George Harrison un révélateur cruel. Elle lui a montré les limites de sa propre résistance, mais aussi celles d’un public parfois ingrat. Elle a mis à nu ses failles, ses contradictions, ses douleurs.

Mais elle a aussi montré sa force. Car peu d’artistes, après un tel échec critique et personnel, auraient su se réinventer avec autant de pudeur. Harrison l’a fait. En silence. Sans fracas.

« J’étais au bord du trou, et j’ai vu mon reflet dans le miroir. Et je me suis dit : ‘Tu n’es pas si mal, après tout.’ »

Cette phrase résume tout George Harrison : la lucidité, l’autodérision, la résistance. Il ne cherchait pas la gloire. Il cherchait l’équilibre. Et c’est peut-être pour cela qu’il est, aujourd’hui encore, le plus aimé des Beatles.

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