Un air léger, une atmosphère électrique
Derrière ses allures de comptine ensoleillée, Ob-La-Di, Ob-La-Da cache une histoire tumultueuse qui illustre parfaitement les tensions régnant au sein des Beatles en 1968. Composée par Paul McCartney lors de leur séjour en Inde, cette tentative d’incursion dans le ska britannique a fait grincer des dents, notamment celles de John Lennon, au point de devenir l’un des morceaux les plus controversés du White Album.
Une inspiration venue du Nigeria… via Soho
L’expression Ob-La-Di, Ob-La-Da provient d’un ami nigérian de McCartney, Jimmy Scott, un percussionniste qu’il croisait souvent dans les clubs londoniens comme le Bag O’Nails. Selon Scott, ces mots signifiaient en langue urhobo « la vie continue ». En réalité, il s’agissait d’une simple expression familiale, sans réelle signification linguistique. Peu importe, Paul, séduit par la sonorité et la philosophie qui s’en dégageait, l’incorpora au titre de sa nouvelle chanson. Bien qu’il ait composé seul le morceau, McCartney envoya plus tard un chèque à Jimmy Scott en guise de reconnaissance.
Un enregistrement cauchemardesque
Si la chanson devait respirer la joie de vivre, son processus de création en studio fut tout sauf harmonieux. Ob-La-Di, Ob-La-Da fut enregistrée, réenregistrée, puis encore remaniée à de nombreuses reprises. McCartney, perfectionniste jusqu’à l’obsession, exigea de recommencer l’enregistrement plusieurs fois, ce qui exaspéra ses camarades. L’ingénieur du son Geoff Emerick, à bout de nerfs, finit même par claquer la porte en pleine session.
Lennon, en particulier, haïssait cette chanson. À ce moment-là, déjà absorbé par sa relation avec Yoko Ono et en proie à des addictions, il qualifia Ob-La-Di, Ob-La-Da de « granny s**t » (de la musique de grand-mère). Exaspéré par les incessants perfectionnements de McCartney, il débarqua un soir en studio sous l’effet de substances, martela le piano à un tempo accéléré et imposa cette version. Ironie du sort : ce fut cette prise-là que McCartney accepta finalement.
Des détails sonores révélateurs de l’ambiance studio
Malgré ces tensions, la version finale de la chanson déborde d’énergie et de spontanéité. On peut y entendre plusieurs moments de légèreté, comme l’erreur de McCartney lorsqu’il chante « Desmond stays at home and does his pretty face » au lieu de « Molly ». Plutôt que de la corriger, le groupe décida de la conserver, renforçant l’aspect joyeusement bancal du morceau.
Les chœurs de Lennon et Harrison apportent aussi une touche d’humour, notamment lorsqu’ils scandent « Arm! » et « Leg! » après le couplet « Desmond lets the children lend a hand ». George Harrison, fidèle à son flegme, ajoute même un « Foot » dans le dernier refrain.
Un succès en demi-teinte pour les Beatles, un triomphe pour Marmalade
Malgré le travail acharné de McCartney pour faire de Ob-La-Di, Ob-La-Da un single, les autres Beatles s’y opposèrent. Finalement, ce furent les Écossais de Marmalade qui en firent un tube, atteignant la première place des charts britanniques à Noël 1968. Cette version, plus lisse, rencontra un immense succès populaire, ce qui dut être un coup amer pour McCartney.
Une chanson insouciante qui cache une guerre interne
Avec ses accents ska et son refrain répétitif, Ob-La-Di, Ob-La-Da semble taillée pour le grand public, mais elle est aussi le symbole d’une période houleuse pour les Beatles. À travers cette chanson, McCartney voulait injecter de la bonne humeur dans un groupe au bord de l’implosion, mais l’effet fut tout autre. Entre l’agacement de Lennon, la frustration de Harrison et la lassitude de Starr, ce morceau incarne les divisions internes qui allaient conduire, moins de deux ans plus tard, à la séparation du groupe.
Aujourd’hui, Ob-La-Di, Ob-La-Da continue de diviser. Adulée par certains, détestée par d’autres, elle reste néanmoins un témoignage fascinant du White Album : un disque où génie et chaos se mêlent jusqu’à l’absurde.