L’album Extra Texture (Read All About It), sorti en 1975, marque un tournant dans la carrière solo de George Harrison. Après l’exubérant Dark Horse, George se tourne vers un son plus introspectif, mais toujours aussi riche en couleurs musicales et personnelles. Parmi les morceaux notables de cet album, l’une des compositions les plus intrigantes et décalées est sans doute His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen), un hommage vibrant à un personnage aussi excentrique que fascinant : ‘Legs’ Larry Smith. Ce morceau, placé en clôture de l’album, est un hommage autant à l’ami qu’au musicien, mais aussi à l’esprit loufoque d’un personnage devenu, par la force de l’amitié, une véritable légende dans le cercle intime de Harrison.
Sommaire
Un hommage à une excentricité amicale
Le titre His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) fait référence à Larry Smith, un membre du groupe humoristique britannique Bonzo Dog Doo-Dah Band, une formation connue pour son mélange d’absurde et de comique décalé. Le groupe, un groupe de musiciens déjantés et joyeusement fous, avait su capturer l’esprit de l’avant-garde musicale anglaise des années 1960. Smith, en particulier, était le batteur et un personnage incontournable du groupe, à la fois par son jeu décalé et son caractère flamboyant.
Dans ses propres mots, Harrison évoque la première rencontre avec Larry : « Il est complètement excentrique. Il vient de chez Terry Doran, il s’habille de façon bizarre, et il dit des choses très drôles. Il se présente avec des expressions comme ‘Hello, sausage’, et d’autres du genre ‘everything’s dinky doo’. C’est un personnage qui vous laisse sans voix. » L’ami de toujours, Terry Doran, a donc joué un rôle de passeur entre les deux hommes, amenant ainsi Larry dans l’univers de George Harrison. Un ami, à la fois étrange et fascinant, qui allait rapidement devenir l’inspiration d’une chanson unique.
Une chanson entre folie et hommage personnel
George Harrison écrit la chanson His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) durant les fêtes de Noël 1973, alors qu’il est chez lui, plongé dans une atmosphère intime et propice à la création musicale. L’idée lui vient soudainement, après avoir observé les facéties de Larry Smith. Un jour, alors qu’il est assis au piano, Harrison décide de lui rendre hommage sous forme de chanson. Cette rencontre, aussi surprenante que fertile, donne naissance à l’un des morceaux les plus déjantés de la discographie de l’ex-Beatle.
La chanson, d’une structure originale, est une forme de divertissement musical et verbal. L’ironie de cette œuvre réside dans le fait que, bien que l’on en saisisse les mots, la dimension de l’excentricité de Larry Smith reste profondément inscrite dans l’absurde de ses paroles et dans l’atmosphère musicale qui les accompagne. Harrison confia plus tard : « Vous devez connaître Larry pour trouver cette chanson drôle… C’est un morceau d’indulgence personnelle, comme beaucoup d’autres de mes chansons, celles qui parlent de choses que personne d’autre ne connaît ou ne se soucie vraiment de comprendre. »
Musicalement, la chanson est une déconstruction ludique de genres. L’interprétation de George Harrison au piano et à la guitare est entourée d’un accompagnement subtilement orchestré : la présence de l’électricien Billy Preston au piano électrique, du saxophoniste Tom Scott, du trompettiste Chuck Findley, du bassiste Willie Weeks et du batteur Andy Newmark apportent une texture sonore assez riche, sans pour autant rendre la composition conventionnelle. C’est un patchwork sonore qui rend hommage à l’esprit de liberté et de décontraction qui habitait Larry Smith.
La genèse de la chanson : entre enregistrement et improvisation
Le processus de création de la chanson His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) est tout aussi décalé que le morceau lui-même. L’enregistrement débute en 1974 lors des sessions pour l’album Dark Horse, au Friar Park, le domicile de George Harrison. Cependant, ce n’est qu’au printemps de l’année suivante, en 1975, que le morceau prend réellement forme. Avec la participation de Legs Larry Smith, qui, en bon improvisateur, interprète les ponts de la chanson de manière spontanée, l’élément humain et décalé de l’enregistrement s’intensifie.
Les prises de voix de Larry sont enregistrées dans une ambiance à la fois informelle et joyeusement anarchique. Harrison, en parfait chef d’orchestre, dirige la session en laissant libre cours à l’improvisation de son ami, et le résultat ne tarde pas à se faire entendre : les deux lignes chantées de chaque pont, sur lesquelles Larry improvise à sa manière, sont suivies d’un monologue absurde et cocasse, ponctué de blagues typiquement anglaises. La touche finale, une idée de Harrison, consiste à mixer ces voix de façon à ce qu’elles se superposent, créant un effet sonore où les paroles se perdent dans une sorte de babillage incompréhensible.
George, dans une interview donnée en 1975, révèle les coulisses de ce choix de mixage : « J’ai décidé de mettre les deux en même temps et de les réduire pour que les gens, en écoutant avec des écouteurs, doivent vraiment se concentrer pour entendre ce que c’est. Une fois que vous avez entendu les blagues une fois ou deux, elles perdent de leur charme. C’était mon moyen de rendre cette expérience plus intense et un peu plus étrange. » Il est évident que George Harrison, par ce choix de mixage, ne cherche pas tant à rendre la chanson compréhensible qu’à la rendre presque mystique, une sorte de miroir sonore de l’esprit excentrique de Larry Smith.
Une chanson décalée pour un album atypique
La place de His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) dans l’album Extra Texture (Read All About It) est toute particulière. Cet album, qui suit l’échec commercial et personnel de Dark Horse, marque un retour à des sonorités plus subtiles, mais aussi un approfondissement du travail de George Harrison sur ses propres sentiments et ses réflexions sur la célébrité, la spiritualité et l’isolement. La chanson se démarque cependant par son côté plus léger et farfelu, loin des préoccupations intimes qui traversent le reste de l’album. Si certains titres de Extra Texture plongent dans une forme de mélancolie introspective, His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) prend un virage bien plus farfelu, à la limite du cabaret et de l’expérimentation sonore.
Avec cette chanson, George Harrison rend hommage à son ami, mais aussi à la folie douce qui existe en chacun de nous. Car Larry Smith incarne cette dimension de l’excentricité anglaise, un personnage en marge, qui défie les conventions tout en restant profondément humain dans sa manière de voir et d’interagir avec le monde. L’absurde y devient alors une forme d’art, une esthétique dont Harrison a su capturer l’essence dans ce morceau unique.
Un héritage sonore et humain
His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) n’est pas simplement une chanson étrange. Elle est avant tout le témoignage d’une époque, celle des années 1970, où l’expérimentation sonore et l’humour décalé occupaient une place importante dans la musique. Harrison, en rendant hommage à Larry Smith, rend aussi hommage à un type d’humour bien particulier, celui de l’absurde, du non-sens, et du décalé. En jouant sur les frontières de l’absurdité et de la réalité, cette chanson invite l’auditeur à s’interroger sur la nature de la musique elle-même, mais aussi sur la manière dont elle peut refléter des relations humaines parfois improbables et profondément sincères.
L’œuvre de Harrison, si souvent marquée par la profondeur spirituelle et les mélodies émouvantes, a aussi une place pour ces instants de légèreté. His Name Is ‘Legs’ (Ladies And Gentlemen) en est un exemple parfait : une chanson déjantée, mais pleine d’amour et de complicité, dont l’humour et la folie ont traversé les années pour devenir une petite pépite dans le catalogue de George Harrison. Une chanson qui, tout en étant un hommage à un ami d’un autre temps, est aussi un regard sur la musique et la vie à travers l’œil d’un artiste tout aussi excentrique que son ami.
