Le 30 novembre 1970, George Harrison, le guitariste soliste des Beatles, lançait un album solo tant attendu intitulé All Things Must Pass. Cet album monumental, triple disque, marquait une étape essentielle dans la carrière de l’artiste, mais il contenait aussi de véritables pépites musicales. Parmi celles-ci, une chanson se distingue par sa tendresse et sa simplicité : Apple Scruffs. Avec ses accents folk et son hommage sincère aux fans les plus dévoués, ce morceau incarne l’esprit d’Harrison, celui d’un homme attaché à l’authenticité et à la sincérité, bien loin des artifices de la célébrité.
Sommaire
La genèse d’un hommage aux « Apple Scruffs »
Dans la galaxie des fans des Beatles, les « Apple Scruffs » occupent une place particulière. Ce surnom désignait ces jeunes filles – principalement des adolescentes – qui, au fil des années, s’étaient constituées en véritable communauté autour du groupe. Elles attendaient, souvent par tous les temps, devant les maisons, les bureaux ou les studios d’enregistrement, espérant entrevoir leurs idoles, ou peut-être, recevoir un simple salut de leur part. Ces fanatiques ne cherchaient pas la gloire ni la reconnaissance, mais se contentaient d’être là, à la manière d’ombrelles silencieuses, observant la vie des Beatles à distance.
Harrison, bien qu’il fût celui des Fab Four qui supportait le moins la pression de la célébrité, a su voir dans ces jeunes admiratrices une forme de dévouement pur, loin des regards intéressés des médias ou de l’industrie musicale. Il leur rendait visite avec une humanité rare, souvent en leur apportant du thé lors de froides journées d’hiver, ou en échangeant quelques mots avec elles. La dévotion inébranlable des « Apple Scruffs » n’a pas échappé à son attention, et dans un élan de gratitude, il a voulu leur rendre hommage.
Ainsi, Apple Scruffs devient un hymne dédié à ces jeunes fans, ces « petites filles », qui, avec leurs comportements naïfs et sincères, ont traversé une époque de folie médiatique pour soutenir sans faille leurs idoles. Loin de la superficialité de certaines relations publiques, Harrison choisit de célébrer la loyauté désintéressée de ces admiratrices. Dans une époque où les Beatles étaient au sommet de leur gloire, où les demandes étaient multiples et les attentes incessantes, un tel geste prouve l’empathie et la reconnaissance d’Harrison envers ceux qui le soutenaient véritablement.
Le contexte d’enregistrement de « Apple Scruffs »
L’album All Things Must Pass est, de manière générale, une œuvre caractérisée par une profondeur émotionnelle et spirituelle qui trouve son apogée dans des chansons comme My Sweet Lord. Cependant, Apple Scruffs représente une rupture, une respiration plus légère dans un ensemble qui peut paraître pesant par moments. Ce morceau a été enregistré dans le sillage des sessions de l’album, mais sa composition semble avoir été tardive. En effet, il ne figure pas parmi les titres démarchés lors des premières réunions avec le producteur Phil Spector à la fin mai 1970, suggérant que Harrison a écrit la chanson après le début des enregistrements de l’album.
La première prise connue de Apple Scruffs a eu lieu le 24 juin 1970, soit quelques semaines après les premières sessions à Abbey Road. Harrison, qui a enregistré plusieurs titres en une seule journée – dont des versions de The Ballad Of Sir Frankie Crisp (Let It Roll) et Sour Milk Sea – a peaufiné sa chanson sur plusieurs prises. La prise finale, utilisée pour la version définitive de l’album, a été réalisée le 25 juin 1970. Lors de cette séance, Harrison a enregistré l’intégralité du morceau en solo, et a su donner à la chanson toute l’intimité et l’émotion qu’elle transmettait. L’édition finale a été réalisée à partir de la prise 18, avec un rallongement du morceau en répétant le refrain, ce qui lui donne une atmosphère presque hypnotique.
L’album All Things Must Pass et la place de « Apple Scruffs »
Le triple album All Things Must Pass, avec ses trois disques et ses morceaux éclectiques, est une œuvre difficile à résumer tant il couvre un large éventail de styles et d’émotions. C’est une œuvre de rupture, de catharsis pour Harrison, un moyen de s’échapper de l’ombre des Beatles tout en portant un regard critique sur son passé. Cependant, Apple Scruffs, avec sa tonalité plus légère et intime, offre une belle parenthèse dans cette atmosphère mélancolique.
La chanson a été placée sur le deuxième disque de l’album, en ouverture de la troisième face, offrant ainsi une sorte de transition entre les morceaux plus lourds et introspectifs du premier disque et ceux plus spirituels du dernier. Elle est d’ailleurs l’un des morceaux les plus accessibles et spontanés de l’ensemble. Son caractère simple et son ambiance presque folk en font un petit chef-d’œuvre de sincérité.
Un succès inattendu pour « Apple Scruffs »
Bien que Apple Scruffs n’ait pas été un single à proprement parler, sa place en tant que face B du single What Is Life a permis à la chanson de connaître une forme de reconnaissance publique. Dans certains pays comme les États-Unis, les stations de radio ont donné un traitement égal aux deux morceaux, permettant à Apple Scruffs de toucher un large public.
Dans d’autres pays, comme en Australie, Apple Scruffs a été présentée comme un double face A avec What Is Life, ce qui montre l’importance de la chanson dans le cadre de cette première sortie solo de Harrison. En mai 1971, le single s’est classé en tête du Go-Set National Top 60 en Australie, prouvant que l’hommage aux « Apple Scruffs » avait trouvé un écho au-delà des frontières du Royaume-Uni et des États-Unis.
La portée émotionnelle de « Apple Scruffs »
Au-delà de la simple anecdote d’un hommage aux fans, Apple Scruffs révèle une facette profondément humaine de George Harrison. Dans un univers de célébrité où les relations sont souvent superficielles, cette chanson illustre la façon dont Harrison percevait la relation avec ses fans les plus fidèles. Là où d’autres membres des Beatles pouvaient être plus distants ou agacés par cette attention constante, Harrison y voyait un acte de dévotion pure et sincère. Ce n’était pas un groupe de fans à la recherche de gloire, mais un petit noyau de personnes prêtes à soutenir sans demander quoi que ce soit en retour.
Le soin apporté à la composition de la chanson et à son enregistrement, qui se distingue par sa simplicité et sa beauté brute, témoigne de la sincérité de Harrison. Son approche minimaliste, sa voix calme et sa guitare empreinte de douceur créent une atmosphère où l’on se sent presque en retrait, comme une ombre parmi les jeunes filles qui attendaient patiemment devant sa porte. Il n’y a pas de fioritures inutiles dans Apple Scruffs ; la chanson est d’une grande pureté, à l’image de l’hommage qu’elle rend.
L’héritage de « Apple Scruffs »
Dans le paysage musical post-Beatles, Apple Scruffs représente une petite mais précieuse contribution au corpus de l’œuvre de George Harrison. Bien que ce titre ne soit pas nécessairement le plus connu ni le plus acclamé, il est l’un des plus significatifs en termes de personnalité. Alors que de nombreuses chansons de l’album All Things Must Pass traitent de thèmes plus vastes comme la spiritualité, la recherche de soi ou la souffrance, Apple Scruffs reste un témoignage intime de l’attachement de Harrison à sa base de fans et à l’humanité en général.
La chanson fait également écho à une époque révolue, où les Beatles, et plus particulièrement Harrison, prenaient encore le temps de répondre à la sincérité de leur public. Aujourd’hui, Apple Scruffs est souvent oubliée dans l’ombre d’autres classiques de l’album, mais elle demeure un morceau-clé dans la compréhension de l’homme derrière l’artiste.
Ainsi, Apple Scruffs restera à jamais un hommage poignant et intemporel à ceux qui ont suivi Harrison non pas pour sa gloire, mais pour son authenticité et sa musique. Elle demeure, dans sa simplicité, un des témoignages les plus précieux de l’âme d’un des plus grands artistes du XXe siècle.