Lorsque John Lennon et Yoko Ono sortent Double Fantasy en novembre 1980, l’album se présente comme une célébration de la vie domestique et d’une nouvelle ère de sérénité pour le couple. Parmi les titres marquants du disque, Cleanup Time se distingue par son groove enlevé, son instrumentation sophistiquée et sa portée autobiographique. Écrite lors d’un séjour à Bermuda en juin 1980, la chanson témoigne de l’état d’esprit de Lennon à cette époque, marqué par une sobriété retrouvée et une certaine prospérité.
Sommaire
Une chanson née d’une conversation
L’idée de Cleanup Time germe lors d’un échange téléphonique entre Lennon et le producteur Jack Douglas. Évoquant les années 1970 et leurs excès, Douglas prononce une phrase qui capte immédiatement l’attention de Lennon : « It’s cleanup time, right ? » (C’est le temps du grand nettoyage, non ?). Inspiré, Lennon se précipite vers son piano et compose la chanson dans la foulée. Il enregistre ensuite plusieurs maquettes dès son retour à New York.
D’un point de vue thématique, Cleanup Time illustre un Lennon en paix avec lui-même après les errances du « Lost Weekend » (période tumultueuse de séparation avec Yoko Ono entre 1973 et 1975). Désormais père dévoué à l’éducation de son fils Sean, il laisse derrière lui les années de dépendance et se consacre à une vie plus rangée, loin des excès et du chaos du rock’n’roll.
Une allusion à la gestion financière de Yoko Ono
Dans les paroles de la chanson, Lennon fait subtilement référence à la situation financière du couple et au rôle prépondérant de Yoko Ono dans la gestion de leur patrimoine. La phrase « The queen is in the counting home/Counting out the money/The king is in the kitchen/Making bread and honey » n’est pas sans rappeler Cry Baby Cry, morceau des Beatles datant de 1968. Ici, Lennon se dépeint en père de famille tandis qu’Ono s’occupe des finances, un rôle qu’elle embrasse pleinement en investissant dans l’immobilier et l’élevage bovin.
Lennon confesse d’ailleurs dans une interview de 1980 qu’il avait toujours fui les considérations financières : « J’ai toujours ignoré ces questions. Maintenant, Yoko s’occupe des affaires. Entre nous, nous avons dû faire face à la réalité de cet argent. Je suis un socialiste qui, par accident, se retrouve avec beaucoup d’argent. »
Une production raffinée et un groove irrésistible
Sur le plan musical, Cleanup Time repose sur une ligne de basse hypnotique jouée par Tony Levin. Le morceau se distingue également par une section de cuivres imposante, comprenant des musiciens chevronnés tels que Howard Johnson et Ronald Tooley. L’arrangement des cuivres apporte une touche soul au morceau, renforçant son atmosphère légère et festive.
L’utilisation du vocoder, procédé électronique permettant de transformer les sons, confère à la chanson une texture vocale unique. L’ingénieur du son Lee DeCarlo raconte : « J’ai utilisé les cuivres pour déclencher un vocoder. J’ai chanté ‘Got to clean up, clean up’ et cela a donné aux cuivres l’effet d’un chœur. C’est la même technique utilisée sur Bohemian Rhapsody de Queen. »
Par ailleurs, le clavieriste George Small souligne la richesse harmonique du morceau : « Harmoniquement, c’est très aventureux. J’avais oublié à quel point c’était complexe. C’est un morceau fantastique. J’adore les arrangements de cuivres. Il a une sorte de fin à la Tomorrow Never Knows, un collage de sons et de musique concrète. »
L’enregistrement en studio : une alchimie créative
La session d’enregistrement de Cleanup Time débute le 13 août 1980, avec l’ajout des parties de cuivres le 5 septembre et l’enregistrement des voix principales de Lennon le 17 septembre. L’alchimie entre les musiciens et les producteurs – John Lennon, Yoko Ono et Jack Douglas – donne naissance à une chanson enjouée, marquant le retour d’un Lennon libéré et en pleine possession de ses moyens artistiques.
Cependant, Cleanup Time, comme l’ensemble de Double Fantasy, prend une dimension tragique dans l’histoire du rock. Moins d’un mois après la sortie de l’album, John Lennon est assassiné devant le Dakota Building, mettant brutalement fin à ce renouveau artistique et personnel.
Un morceau sous-estimé dans l’héritage de Lennon
Si Cleanup Time n’est pas l’un des morceaux les plus emblématiques de Double Fantasy, il n’en demeure pas moins un témoignage essentiel de l’état d’esprit de Lennon en 1980. Entre confidence intime, second degré et plaisir musical, la chanson illustre la transformation de l’ex-Beatle en père de famille comblé, ayant troqué la rébellion pour la stabilité.
Ainsi, Cleanup Time résonne comme une célébration de la renaissance, du retour à la simplicité et d’un Lennon en paix avec son passé. Un moment de légèreté et de maturité, capturant un instant fugace avant que le destin ne vienne brusquement tout interrompre.