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[Revue de presse] George Harrison, génie contrarié

On réédite aujourd’hui toute l’œuvre de George Harrison, le talent le mieux caché des Beatles. Au premier plan, l’ambitieux “All things must pass”, chef-d’œuvre éternel de la pop rêveuse.

George Harrison était-il l’égal de John Lennon et Paul McCartney ? Les surpassait-il parfois par son étrangeté, son ambition secrète, son feu sacré? On se gardera d’entrer dans une discussion qui ne mène nulle part. D’autres l’ont fait dans le passé pour le plaisir de l’agacerie et en sont ressortis tous phares éteints. Force est de constater tout de même que l’œuvre du plus jeune, du plus discret des Beatles, celui qu’on surnommait « le taiseux », est régulièrement visitée comme un monument. En 2011, Martin Scorsese consacrait une somme documentaire de plus de trois heures à ce prolo mystique comme lui, guitariste tourmenté, mort d’un cancer à 58 ans, dont les idées illuminèrent le trajet des « Fab Four ». Aujourd’hui, l’intégrale de ses disques vinyles nous tombe dessus comme une dalle de marbre. Une quinzaine d’albums recueillis dans un packaging colossal et sophistiqué, aux côtés duquel l’intégrale Lennon a des airs pauvrets. Paul McCartney, qui « jouait quarante-neuf de ses chansons avant de me laisser en placer une » (dixit Harrison) n’a pas encore publié la somme phraonique de ses années en solo. Ringo Starr doit s’en foutre comme de sa première chemise fleurie. Les ayants droit de George Harrison ont le champ libre. Il y a toujours eu de la revanche dans l’air.

Aux origines de l’indépendance

On ne sait pas vraiment où le parcours commence. S’il faut compter ses sublimes compositions pour les Beatles en fin de course (While my guitar gently weeps, Something…). S’il faut s’arrêter sur les premiers pas de côté, Wonderwall Music, premier album solo d’un membre du groupe (enregistré à Bombay) et bande originale (très, très étrange) d’un film obscur avec Jane Birkin. Ou Electronic Sound, deux faces de « bleep bleep » expérimental en forme de pied de nez absurde au formatage de l’industrie rock, un genre de Metal Machine Music avant l’heure publié sur Zapple (!), la division avant-gardiste mort-née des disques Apple. Harrison était prêt à tout essayer, il ruait dans les brancards, il voulait sa liberté. Il l’annonçait depuis des lustres, réclamant la fin des tournées, refusant de toucher à une guitare pendant des mois après avoir découvert la sitar de son maître Ravi Shankar, essayant d’entraîner ses comparses – et le monde entier – dans une quête de spiritualité qui n’excluait ni Krishna, ni les grandes ouvertures du LSD. Le guitariste écrivait sans cesse de nouvelles chansons que nul n’entendait et il est le seul à être sorti euphorique de l’agonie des Beatles pour se lancer à corps perdu dans la carrière solo. Celle-ci est restée inégale et a connu de longs trous d’air, mais la joie, le désir et l’énergie, l’addition des quêtes et des frustrations se sont cristallisés sur un disque, All things must pass, (triple) album de l’ambition absolue, sorti fin novembre 1970 et qui reste (pourquoi pas) ce qu’un ex-Beatles a fait de mieux.

Casting XXL et mur du son

Commercialisé sous la référence Apple 639, All things must pass ressort aujourd’hui dans sa forme originale (1), sans la colorisation absurde de la pochette réalisée par Harrison lui-même pour une réédition en CD, sans les retouches sonores qui visaient à atténuer le trop-plein (selon lui) de la production d’un Phil Spector se rêvant en Mahler, et sans les inédits qui venaient embarrasser un disque déjà plein jusqu’à la gueule. D’après Spector, qui avait produit Let it be, Harrison avait en stock des heures et des heures de chansons qu’il avait composées en marge des Beatles, certaines refusées par le groupe comme All things must pass ou Isn’t it a pity – pas étonnant vu le regard funèbre qu’elles jetaient sur l’aventure commune –, certaines sous influence des nouveaux amis The Band et Bob Dylan (lequel signe et cosigne deux chansons de l’album). Dans son enthousiasme, le guitariste a entraîné avec lui le gratin des musiciens de l’époque, Eric Clapton, Gary Brooker, Billy Preston (à qui il a fait enregistrer un album soul formidable sur Apple), Alan White, qui deviendra le batteur de Yes, tout le groupe Badfinger et même Phil Collins (aux congas). La liste est interminable. Avec ce casting XXL, Spector s’en donne à cœur joie. Il échafaude là l’un de ses derniers grands « murs du son », faisant jouer ensemble plusieurs guitaristes et plusieurs batteurs, emmêlant les partitions, multipliant les pistes, gonflant les chœurs.

Un homme à mi-parcours

L’orchestration exaltée, les vapeurs électriques, la coloration chagrine ou rêveuse des chansons place All things must pass en première ligne de la scène folk-rock élégiaque qui est au centre de la musique anglaise de l’époque. Elles font aussi de l’album un éclaireur de la « dream pop » à venir avec ses envolées brumeuses, sa mélancolie sourde (« tout passe, tout lasse ») et ses mini-symphonies qui se replient sur elles-mêmes. A l’époque où l’album est sorti, tous les Beatles se lançaient dans l’aventure solitaire. Ringo Starr publiait un Beaucoups of blues gentiment passionné qui annonçait une œuvre sans queue ni tête, mais pleine de bons moments. Paul McCartney était en pleine introspection et John Lennon s’essayait au cri primal (« Il n’est pas centré sur lui-même, écrivait le NME, il est obsédé par lui-même »). Pour la critique de l’époque, le George Harrison d’All things must pass était celui qui s’ouvrait au monde, se sentait la force de profiter de la vie et d’en faire profiter les autres. Un homme à mi-parcours assailli de visions et de questions, capable de tout, même de décrocher un tube mondial en transformant une mélodie doo wop en hymne à Krishna (l’irrésistible My sweet Lord). Parolier naïf, chanteur limité, guitariste lumineux qu’on regardait avec un peu de condescendance malgré le tourment niché dans les chansons (« un musicien sérieux qui travaille bien », écrivait le NME). Un grand talent au deuxième rang. « L’éternelle médaille d’argent. » Sauf qu’avec les années, elle s’est patinée d’or.

Source : Télérama

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