Il y a des livres qu’on savoure. Avec le plaisir de les avoir avec soi, de s’y plonger et replonger. Parce que le sujet. Parce que le style. Parce que c’est bien, tout simplement. John Lennon, une vie appartient à cette catégorie, et c’est tant mieux car l’ouvrage fait quand même 1 200 pages. Il va désormais trôner dans ma bibliothèque entre le bouquin de François Bon consacré aux Rolling Stones, et qui m’avait plu pour les mêmes raisons. Et au côté du superbe Le jour où John rencontra Paul : heure par heure, la naissance des Beatles, de Jim O’Donnell.
Philip Norman nous livre une somme, un portrait passionnant de John Lennon. Il sait écrire, le bougre. Entendez par là qu’il y a de l’âme dans ses mots. De la vie. En ce sens, c’est bien une uvre d’écrivain que nous tenons dans les mains (en plus d’être journaliste, Norman est dramaturge, ça se sent). Quoiqu’il décrive, et sans pour cela malmener la vérité historique, on y est. Que ce soit à Liverpool ou à Hambourg, avec Julia, sa tante Mimi ou Stu Sutcliffe, on suit pas à pas l’évolution de Lennon dans toute sa complexité. Chaque étape est soigneusement contextualisée, enrichie de témoignages rares, pour un résultat riche, profond et formidablement documenté. Et extrêmement éclairant sur le phénomène Beatles.
Une phrase clef se trouve page 486. Nous sommes en 1963 et les Beatles se rendent au Crawdaddy Club pour voir un jeune groupe débutant, les Rolling Stones. “À ce moment précis de leur carrière, écrit Norman, les Stones ressemblaient beaucoup aux Beatles dix-huit mois auparavant : un groupe doté d’une cohorte de fidèles fanatiques se produisant dans un minuscule endroit […] mais dépourvu de management et de la vision nécessaire pour le faire aller plus loin.” Ces dix-huit mois, les Stones ni personne d’autre ne les combleront jamais. En plus, les Fab Four, impressionnés par les Stones, jouèrent les gentlemen en leur offrant, pour leur deuxième simple, un I Wanna Be Your Man qui valut à ces derniers un numéro 12 dans les charts britanniques.
Le texte remet également en perspective la vision communément admise des “gentils” Beatles contre les “méchants” Rolling Stones. À cet égard, la description de la période hambourgeoise est édifiante. Les Beatles vivront là en une poignée de mois, et alors que le lait leur sort encore du nez, des aventures que les Stones mettront quarante ans à égaler.
Le John Lennon qui ressort de ce livre est humain, très humain. Avec ses qualités (qui sont grandes) et ses défauts (qui sont tout aussi grands). Ni plus ni moins qu’un autre toutefois, sauf que lui était scruté à la loupe. Généreux, bagarreur, cultivé, infidèle, rebelle, opportuniste, sincère, sûr de lui, plein de doutes, pas toujours sympa, souvent touchant : John Lennon était un être pétri de contradictions (comme nous tous enfin, surtout vous). Accessoirement, c’était l’un des deux plus grands compositeurs du rock, l’autre s’appelant Paul McCartney (si ces deux-là s’étaient rencontrés et avaient fondé un groupe ensemble, on n’ose imaginer ce que ça aurait donné !).
Je ne vous raconte pas la fin : en 1970 les Beatles n’existent plus, John Lennon est assassiné le 8 décembre 1980. Ça déflorerait l’histoire et je m’en voudrais de vous frustrer d’un suspense auquel vous avez droit. La traduction de Philippe Paringaux est excellente (l’homme est un ancien rédacteur en chef du Rock & Folk de la grande époque, il sait donc de quoi il parle).
Allez, lisez-moi ça, vous ne le regretterez pas.
Source : allomusic